Tribune "la récolte ou la vie" - il est urgent de rétablir le repos hebdomadaire des saisonniers !

La mort tragique de six vendangeurs et vendangeuses en 2023 (2 dans le Rhône et 4 dans la Marne), survenue dans un contexte de travail par fortes chaleurs et de dérogation au jour de repos hebdomadaire, n’a malheureusement pas pesé lourd face à la pression exercée par certains syndicats agricoles au début de l’année 2024.

Ces derniers, en rejetant non seulement les normes environnementales mais aussi, de manière implicite, les normes sociales, ont ciblé les droits des ouvrier·es agricoles. Un décret contre le droit du travail et la santé des travailleur·euses agricoles Le 9 juillet 2024, seulement deux jours après la défaite de l’ex-majorité, paraît au journal officiel le dernier décret « Attal ».

Sur reprise d’une idée du Rassemblement National et des Républicains, ce texte autorise la suppression du repos hebdomadaire obligatoire des travailleur·euses agricoles « une fois au plus sur une période de trente jours », dans le cadre des récoltes manuelles relevant d’une Appellation d’Origine Contrôlée (AOC) ou d’une Indication Géographique Protégée (IGP).

Ce coup porté à un droit fondamental inscrit dans la loi française depuis 1906, et reconnu par la Charte des Droits Fondamentaux de l’Union Européenne ainsi que par la Convention Internationale du Travail n°106, constitue une grave mise en péril de la santé des travailleur·euses.

Déroger devient la norme ? Jusqu’à présent, la suppression du repos hebdomadaire nécessitait une dérogation spécifique accordée par l’inspection du travail. Désormais, cette décision repose uniquement sur la volonté de l’employeur•se, sans obligation de justification. Le caractère périssable des récoltes constitue un motif suffisant aux yeux des promoteurs de cette mesure.

Les risques pour la santé des travailleur·euses, eux, sont ignorés, tout comme les alternatives possibles, telles que le chevauchement d'équipes qui permettrait le repos des personnes tout en maintenant l’activité le dimanche. Jusqu’à la mort de salarié·es ?

Dans un contexte où la durée hebdomadaire de travail peut déjà atteindre 72 heures par dérogation (1), notamment en viticulture, les exploitant·es agricoles peuvent désormais légalement imposer 120 heures de travail (voire 144 dans certains secteurs) en 14 jours, au SMIC, avec seulement 20 minutes de pause par jour, sans même reconnaître le droit à une prime de précarité (bien méritée) et sans aucune mesure visant à protéger la santé des travailleur·euses. Cette situation met directement en danger la vie des saisonnier·es. L'indifférence face à la souffrance des travailleur·euses agricoles doit cesser.

Un contexte climatique aggravant la précarité

Le changement climatique exacerbe les risques pour les saisonnier•es, déjà précarisé·es par des conditions de travail et de vie difficiles. L’absence de jour de repos, qui plus est dans un contexte de températures extrêmes, rend chaque journée de travail potentiellement dangereuse. Le gouvernement persiste néanmoins à sacrifier le repos hebdomadaire sur l’autel de la rentabilité.

Nombre de saisonnier•es « professionnel•les », enchaînent les mois de contrats et les récoltes été comme hiver, sous des températures très élevées ou de fortes intempéries, augmentant les risques pour la santé. Bien trop souvent leurs conditions de vie sont déjà délétères, soient-il•les français·es ou étranger·es.

Pour ces dernier·es, nombreux·ses dans les champs et les vignes, ce sont encore plus d'obstacles pour accéder aux soins et connaître les droits sociaux basiques en France ; la barrière de la langue, la fracture numérique, l’isolement, le racisme… Se cumulent, accroissent les dangers de ce manque de repos essentiel, et empêchent la revendication de leur droit à l’intégrité.

D’autres saisonnier·es « occasionnel·les » aux profils multiples (jeunes, étudiant•es, 1 Article L.713-13 du code rural et de la pêche maritime retraité•es…), astreint·es à l’intensité et à la productivité du rendement, ne sont pour la plupart pas coutumier·es de ces conditions de travail. Ils seront donc, par manque d’habitude, plus vulnérables, surtout dans leurs 12 premiers jours de cueillette.

Blanc-seing aux employeur•ses, sur la vie des travailleur·euses?

Par ailleurs, il n’est pas non plus possible de faire confiance au « bon sens » de nombre d'employeur•ses indifférent•es au bien-être et aux conditions de vie (voire de survie) de la main d’œuvre saisonnière, comme l’illustre parfois le défaut d’accès à l’eau potable ou sa non provision dans certaines exploitations, l’inexistence de logement digne et décent… Ou régulièrement, la réticence à aménager les horaires de travail pour éviter les fortes chaleurs. Les abus d'application de ce décret sont prévisibles, tandis que la mort au travail est en augmentation.

In fine, quelles obligations et responsabilités incomberont aux employeurs•ses et aux organismes en charge de la sécurité des travailleur•euses (Inspections du travail, MSA), si l’on considère que pourraient être commises des atteintes involontaires à la vie (art. 221-6 du CP), des atteintes à l'intégrité physique (art. 222-19 du CP) et la mise en danger des personnes en raison des risques causés à autrui (art. 223-1 du CP) ? Et quel précédent ce décret crée-t-il?

Un appel à l’action

Il est impératif de garantir des conditions de travail sûres et dignes pour tou·tes (2) en agriculture. Le repos hebdomadaire est un droit fondamental qui ne doit pas être sacrifié au nom de la productivité. Il est possible de concilier protection des travailleur·ses et exigences économiques comme le montrent les initiatives mises en place pour les ouvrier·es du BTP lors des canicules. Il est urgent d’étendre ces mesures aux domaines agricole et viticole.

Face à cette mise en péril grave et imminente des ouvrier•es agricoles, nous, associations et organisations signataires, appelons à l’abrogation de ce décret et à l'application de mesures en faveur de la sécurité et santé au travail des travailleur·ses agricoles.

Ensemble, nous devons nous mobiliser pour la justice et la dignité de celles et ceux qui nous nourrissent !

(1) Article L.713-13 du code rural et de la pêche maritime.

(2) https://manifestemontrealsst.net/wp-content/uploads/2024/06/1Manifeste-de-Montreal-2023-FR_def-1-2.pdf

Liste de signataires : El Eco Saisonnier collectif de travailleur·euses agricoles, avec Marie-Lys Bibeyran défenseuse des droits des travailleur·euses des vignes et auteure, Fabienne Goutille chercheuse intervenante en santé au travail, Tifenn Hermelin documentariste, Béatrice Mésini chercheuse.

Les organisations signataires : Association A4 accueil en agriculture et artisanat, Codetras collectif de défense des travailleur·euses saisonnier·es étranger·es, Colectivo de Saisonnières del 66 collectif de travailleur·euses des Pyrénées-Orientales, Confédération paysanne syndicat, Confédération paysanne Alpes-de-Haute-Provence, Aveyron, Bouches-du-Rhône, Isère, Confédération paysanne PACA, Derechos sin fronteras permanence d’accès aux droits à Beaucaire, France Libertés Fondation Danielle Mitterrand, Forum civique européen, Halem, LDH Istres-Ouest-Provence, Médecins du monde délégation Aquitaine, RLGDV, Sud Travail Affaires Sociales syndicat, SUD Agri Tarn syndicat, Syndicat du Travail de la Terre et de l’Environnement 42 syndicat, Union départementale CGT Côtes-d’Armor syndicat, Union syndicale Solidaires…

Cette tribune a été signée par une multitude d’organisations, d’ouvrier·es agricoles, paysan·nes et employeur·ses, professionnel·les de santé, élu·es, enseignant·es et chercheur·es (CNRS, Inrae, AgroParisTech, Cirad, Inserm, IRIS, etc.).

La liste complète : https://docs.google.com/document/d/1p7mA9oMs4C7cE5GH9w1RuTpZPqyqeBKRXSKTL5SJlpU/edit

Liste des productions concernées en plus des vendanges :

Fruits AOC

Noix de Grenoble (1938)

Chasselas de Moissac (1977)

Pomme du Limousin (1994)

Muscat du Ventoux (1997)

Noix du Périgord (2002)

Châtaigne d'Ardèche (2006)

Figue de Solliès (2006)

Abricots rouges du Roussillon (2022)

Fruits IGP

Normandie Poireau de Créances

Pays de Loire Melon du Haut Poitou

Nouvelle Aquitaine Fraise du Périgord

Nouvelle Aquitaine Asperges des sables des Landes

Nouvelle Aquitaine Melon du Quercy

Nouvelle Aquitaine Kiwi de l'Adour

Nouvelle Aquitaine Ail blanc de Lomagne

Nouvelle Aquitaine Haricot tarbais

Nouvelle Aquitaine Ail rose de Lautrec

Nouvelle Aquitaine Haricot de Castelnaudary

Hauts-de-France Lingot du Nord

Grand-Est Mirabelles de Lorraine

Auvergne-Rhône-Alpes Pommes et poires de Savoie

Auvergne-Rhône-Alpes Pommes de Alpes de Haute Durance

Provence-Alpes-Côte d'Azur Cerise des côteaux du Ventoux

Provence-Alpes-Côte d'Azur Citron de Menton

Occitanie Ail de la Drôme

Occitanie Fraises de Nîmes

Occitanie Artichaut du Roussillon

Corse Clémentine de Corse

Corse Kiwi de Corse

Corse Noisette de Cervionne

Corse Pomelo de Corse

Guadeloupe Melon de Guadeloupe

AOP

Centre-Val de Loire Pomme du Limousin

Nouvelle Aquitaine Noix du Périgord

Nouvelle Aquitaine Chasselas de Moissac

Nouvelle Aquitaine Ail violet de Cadours

Auvergne-Rhône-Alpes Noix de Grenoble

Provence-Alpes-Côte d'Azur Châtaigne d'Ardèche

Provence-Alpes-Côte d'Azur Muscat du Ventoux

Provence-Alpes-Côte d'Azur Figue de Sollies

Occitanie Oignon doux des Cévennes

Occitanie Châtaignes des Cévennes

Occitanie Abricots rouges du Roussillon