Les travailleurs sans-papiers de la plateforme DPD du Coudray-Montceaux et de l’agence Chronopost d’Alfortville sont en grève, respectivement depuis le 15 novembre et le 3 décembre. Depuis plus d’un an, les préfectures du 91 et du 94, les ministères de l’Intérieur et du Travail, la direction du sous-traitant Derichebourg, celles du donneur d’ordre (La Poste et ses filiales DPD et Chronopost) ont été interpellés à plusieurs reprises, sans qu'il y ait d'avancées pour les occupants de ces deux piquets.
Côté employeurs, le sous-traitant comme le donneur d’ordre se défaussent de leurs responsabilités. La Poste qui est au sommet du système de sous-traitance en cascade et qui à ce titre porte la responsabilité la plus grande, tient depuis le début le même discours : « les salariés concernés ne font pas partie du groupe, nous ne sommes pas l’interlocuteur ». En d’autres termes, circulez il n’y a rien à voir. Le 10 janvier, une manifestation des travailleurs des deux piquets de grève s’est déroulée à Paris, de la place de la Bastille à Austerlitz, où est situé un des sièges de la Caisse des dépôts et consignations, actionnaire majoritaire de La Poste depuis 2020. Une délégation a été reçue par le responsable des relations sociales de la CDC et un responsable de la direction de la gestion des participations stratégiques du même groupe. Rappelons que, malgré une privatisation partielle, la CDC reste le bras armé financier de l'Etat.
Si les responsables Caisse des dépôts qui nous ont reçus assurent que l’utilisation de travailleurs sans-titres est un sujet important, ils soutiennent totalement la direction de La Poste. Selon elle, le fait que cette dernière ait rompu les contrats la liant à Derichebourg en Ile-de-France, en mai 2022 est une preuve de sa bonne foi. C’est totalement se moquer du monde ! D'abord, cette « bonne foi » est bien tardive. Pour qu'elle prenne cette décision, il a fallu quatre années et trois grèves : celle animée par la CGT à l’agence Chronopost de Chilly Mazarin en février et mars 2018, celle de l’agence Chronopost d’Alfortville, en 2019-2020, qui a duré sept mois, enfin la lutte menée actuellement (ces deux dernières grèves étant animées par le CTSPV, Solidaires et Sud PTT). Et, concernant la lutte actuelle sur deux sites, il a fallu six mois de manifestations, d'émissions et d'articles de presse pour qu'elle le fasse. De plus, dans un premier temps La Poste a mis fin à sa collaboration avec Derichebourg uniquement dans les deux sites en grève, avant de le faire dans l’ensemble de l’Ile-de-France, comme si tout allait bien dans le reste du territoire !
En réalité ce soutien est on ne peut plus logique. L’exploitation féroce des travailleurs sans-papiers dans le secteur du colis répond à un impératif : garantir les profits du groupe La Poste. Or l’actionnaire majoritaire qu’est la Caisse des dépôts capte une partie non négligeable de ces profits sous forme de dividendes. Des dividendes dont le montant total a été de plus de 700 millions d’euros en 2022, alors qu’il n’avait jusqu’ici jamais dépassé 200 millions. La CDC a donc tout intérêt à ce que la politique des dirigeants de La Poste se poursuive, peu importent les conséquences sociales. Sa responsabilité est d’ailleurs pointée dans un article paru aujourd’hui dans L’Humanité, au sujet de l’emploi massif de coursiers au noir à Stuart, filiale de La Poste. C’est dans la même logique qu’elle a préparé, de concert avec le PDG La Poste, la fin du timbre rouge et de la distribution du courrier en J+1.
Nous ne sommes ni dupes ni surpris, nous prenons acte. Les travailleurs sans-papiers de DPD et Chronopost ont face à eux une hydre à trois têtes (La Poste, la CDC et l’Etat). Mais au bout de plus d’un an de lutte, ils ne renonceront pas à ce que justice leur soit rendue (c’est-à-dire l’obtention de leur régularisation), quitte à déplacer des montagnes.
Paris, le 12 janvier 2022