Communiqué le 7 octobre 2023
Nous, organisations françaises, la Confédération paysanne, le Cadtm France, Attac France, l’Union syndicale Solidaires et France Amérique Latine, affirmons notre solidarité avec le peuple haïtien. Nous nous joignons aux demandes des mouvements sociaux haïtiens pour l’autodétermination haïtienne. Nous nous opposons au déploiement de la « mission multinationale de soutien à la sécurité » que le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé le 2 octobre. Nous demandons au gouvernement français de cesser sa participation au « core group » et de respecter la volonté du peuple haïtien. Nous soutenons les propositions portées par les organisations sociales haïtiennes pour le processus de transition. Nous soutenons leur demande pour que la France paie des réparations au titre de l’esclavage et de la dette illégitime imposées par le gouvernement et des entreprises françaises au peuple haïtien pour sa liberté.
Haïti est plongé depuis des années dans une situation terrible, une descente dans la violence qui ne semble pas avoir de fin. Et pourtant, l’histoire et le présent de Haïti suscitent notre admiration et notre reconnaissance. Malgré les difficultés, la force et la dignité de la population haïtienne continuent d’alimenter notre espoir.
À l’origine du mouvement actuel, il y a le mouvement social à large assise qui demande depuis 2018 que le gouvernement haïtien enquête sur les fonds prêtés par le Venezuela, connus sous le nom de Petrocaribe. L’élite liée au parti PHTK – qui était au pouvoir et qui a de puissants liens financiers et capitalistes étrangers – s’est alors opposée farouchement à toute rupture du statut quo. Plutôt que de perdre la main, ils ont choisi de financer une campagne de violence des gangs dans les quartiers populaires de Port-au-Prince pour mater le mouvement social qui y était très puissant. Depuis le massacre de La Saline en 2018, au cours duquel plus de 70 civil·es ont été tué·es et violé·es par des bandes armées, la violence s’est intensifiée et les gangs contrôlent désormais des parties importantes du territoire haïtien, en particulier à Port-au-Prince et en Artibonite, tuant, kidnappant et violant en toute impunité.
Depuis l’assassinat du président Jovenel Moise en juillet 2021, Haïti est gouverné de fait par le core group, un groupe composé notamment des ambassadeur·es des États-Unis, du Canada, de France, d’Allemagne, du Brésil, d’Espagne, de l’Union Européenne ainsi que du Représentant spécial de l’Organisation des États Américains et de son homologue de l’ONU. Ce sont eux qui ont nommé Ariel Henry comme nouveau premier ministre d’Haïti. Le parlement n’existe plus. Une grande partie de la population haïtienne ne voit pas de légitimité démocratique dans le gouvernement imposé par le core group ; et le processus électoral est bloqué.
Ariel Henry et le core group ont appelé à une mission policière extérieure pour rétablir l’ordre face aux gangs qu’ils ont armé. Le 2 octobre et malgré la réticence de nombreux gouvernements, le Conseil de sécurité de l’ONU a autorisé l’envoi en Haïti d’une « mission multinationale de soutien à la sécurité » (MSS) pour au moins un an. Cependant, les mouvements sociaux haïtiens rejettent formellement cette option. Haïti a l’expérience de plus de dix interventions extérieures depuis 20 ans et celles-ci, loin d’apporter une solution et un mieux-vivre pour la population, ont fait augmenter l’insécurité, la violence et la pauvreté. De plus, il est particulièrement dangereux que la MSS soit menée et composée par plus de mille policiers et soldats kényans, car la police kényane est connue pour des violations massives des droits humains, à la fois au Kenya et en Somalie1.
Il est temps pour la France de réfléchir à sa propre responsabilité dans la difficulté au long cours que connaît Haïti et d’envisager des réparations à la hauteur des sévices perpétrés. En 1825, la France a imposé une lourde dette en contrepartie de la reconnaissance de l’indépendance d’Haïti, pour indemniser les anciens colons et esclavagistes français de Saint-Domingue. Cette dette odieuse a pesé sur Haïti jusqu’au milieu du 20e siècle, ruinant un pays fabuleusement riche, obligeant à couper les arbres pour exporter le bois, perpétuant un modèle de plantations agricoles destinées au marché européen plutôt que de privilégier la production pour répondre aux besoins des Haïtien·nes. La France doit des réparations à Haïti, pour la traite d’esclaves, pour l’esclavage même, pour les tortures infligées aux populations des siècles durant et pour cette dette odieuse qui fut le prix de la liberté des Haïtien·nes.
De même, il est temps pour les États-Unis d’arrêter d’envoyer des armes vers Haïti, d’y installer des zones franches et d’exploiter les ressources haïtiennes.
Haïti n’a pas besoin d’une nouvelle occupation extérieure. Les Haïtien·nes veulent qu’enfin leur liberté et leur autodétermination soient reconnues et respectées par les autres pays. Dès le 30 août 2021, quelques semaines après l’assassinat de Jovenel Moise, les organisations sociales du pays se sont réunies pour s’accorder sur une feuille de route pour sortir le pays de la crise et assurer une transition démocratique, aussi connue sous le nom de « l’accord de Montana ». Une solution haïtienne existe !
Nous, organisations françaises, appelons le gouvernement français à cesser de participer au core group, à la mission multinationale de soutien à la sécurité et reconnaissons la dette que la France a envers le peuple haïtien. Cette dette ne nous autorise à rien, et surtout pas à continuer les ingérences. Elle nous oblige à nous tenir au côté du peuple haïtien et de ses demandes légitimes.
1 https://www.amnesty.org/en/documents/amr36/7122/2023/en/
La Confédération paysanne,
le Cadtm France, Attac France,
France Amérique Latine et
l’Union syndicale Solidaires