Cela va faire bientôt deux ans que la majorité des travailleurs sans-papiers de la société d'intérim RSI sont redevenus Sans-papiers, après avoir bénéficié d'une régularisation temporaire pendant six mois.
Retour sur l'histoire :
L'État fabrique les Sans-Papiers
Le 29 septembre 2022, nos délégués avaient été reçus par le ministre de l'Intérieur, M. Gérald Darmanin, avec les élus de Gennevilliers, dont Mme la députée, Elsa Faucillon.
Cela faisait bientôt un an que nous dormions dehors, 10 rue de la Sablière à Gennevilliers, devant le siège de RSI, une entreprise d'intérim, spécialisée dans le Bâtiment, qui nous avait employés. Sur les chantiers, tout le monde savait, aussi bien RSI que les sociétés clientes, que nous étions sans-papiers. C'était un système de surexploitation organisé avec le silence complice de l'État. Cela faisait aussi bientôt un an que nous manifestions à Gennevilliers, Nanterre ou devant les ministères, avec les deux autres piquets de grève organisés par notre Collectif avec Solidaires, à Alfortville (94) et au Coudray-Montceaux (91).
À la suite de cette rencontre avec le ministre, 83 d'entre nous, c'est-à-dire la grande majorité du piquet, ont été convoqués en préfecture pour le dépôt de leur dossier. Le préfet de Nanterre, M. Laurent Hottiaux à l'époque, présent à la réunion aux côtés de Gérald Darmanin, nous a délivré à chacun, en octobre 2022, un récépissé d'une validité de six mois, avec autorisation de travail.
Nous avons levé le piquet et sommes partis travailler. En général dans le Bâtiment, mais aussi dans d'autres secteurs (Nettoyage, logistique...). Mais pas avec RSI, car cette entreprise d'Intérim ne voulait pas nous reprendre. Elle s'y était pourtant engagée, en décembre 2021, en signant les 83 cerfas.
Six mois plus tard, l'instruction se concluait sur une acceptation pour 18 personnes et un refus pour 65 personnes = Retour à la case Sans-papiers
Alors, à quoi ça rime ?
À quoi ça rime de nous donner une autorisation de travail en octobre 2022 et de nous l'enlever six mois plus tard, en avril 2023 ?
À quoi ça rime que Monsieur Darmanin ait dit au préfet de Nanterre de l'époque, devant nos délégués, le 29 septembre, que l'instruction devait être « la plus humaine possible ».
À quoi ça rime que M. Darmanin après avoir dit aux médias qu'il allait être gentil avec les gentils, c'est-à-dire avec ceux qui travaillent, nous ait rejettés ainsi dans l'illégalité ?
À quoi ça rime après la délivrance des récépissés d'avoir laissé filer le temps et puis d'instruire des dossiers vieux de six mois, sans tenir compte des feuilles de paye que nous avions réunies depuis lors ?
L'État nous a livrés de nouveau entre les mains des patrons-voyous
Des patrons-voyous comme RSI qui nous a employés pendant des années. Par notre grève, nous avions dénoncé un système où RSI fournissait en main-d’oeuvre des entreprises du bâtiment, ECM, BJF, COBAT, LEON GROSSE, etc..
Ces sociétés étaient elles-mêmes sous-traitantes de grosses entreprises comme EIFFAGE, BOUYGUES, VINCI. Les profits réalisés par ces grandes sociétés sur le dos des Sans-papiers, se retrouvaient en quelque sorte transférés et "blanchis" à travers des cascades de sous-traitance.
Depuis, RSI s'est fait discret, mais le système de surexploitation des travailleurs sans-papiers existe toujours, parfois bien pire, avec des entreprises sous-traitantes éphémères qui emploient des salariés non déclarés et bien souvent ne payent qu'une fraction des salaires promis. Tout cela avec la complicité de l’État qui tolère ces systèmes. Et l’État utilise lui-même ces systèmes de surexploitation pour ses entreprises. Notre collectif a tenu deux autres piquets de grève avec le syndicat Solidaires devant l'agence Chronopost d'Alfortville dans le 94 et devant l'agence DPD du Coudray-Montceaux.
Dans ces deux filiales de La Poste, entreprise d’État, des intérimaires Sans papiers trient les colis la nuit. Les profits de La Poste sont à ce prix.
« Une instruction la plus humaine possible » ????????
Lors de la rencontre du 29 septembre 2022, en notre présence, M. Darmanin a donné au préfet des Hauts-de-Seine l'orientation générale à suivre dans l'examen des dossiers : « Une instruction la plus humaine possible ». Les refus d'avril 2023 ne montraient aucune humanité. Les attestations de concordances pour le calcul de l'ancienneté salariée n'avaient pas été prises en compte, alors même que c'était une consigne ministérielle.
Ensuite, elle opposait la situation de l'emploi pour la totalité des métiers des personnes : manoeuvre, terrassier, coffreur, démolisseur... affirmant que ces métiers ne connaissaient pas de « difficultés de recrutement ». C'était un mensonge bien sûr. Le recrutement était en plein boum avec les chantiers des JO et ceux du Grand Paris. Mais surtout le préfet du 92 n'appliquait même pas la circulaire Valls. Cette circulaire donnait pourtant clairement consigne aux préfectures (p.8) que « la situation de l'emploi ne sera pas opposée aux demandeurs qui remplissent l'ensemble de ces critères ».
Cerise sur le gâteau pour les Sénégalais, les refus s'appuyaient sur les termes de l'accord franco-sénégalais de 2006.
Ces accords listent les métiers ouvrant droit à la régularisation. Les métiers du Bâtiment y sont, mais la désignation y est légèrement différente et la préfecture tire argument de cela pour ses refus. Par exemple il est mis « Ouvrier des Travaux Publics » au lieu de « Manoeuvre » qui est la désignation sur les feuilles de paye en France. Normalement ces
accords avaient été conçus pour faciliter la régularisation et l'intégration des ressortissants sénégalais en France. Au contraire, la préfecture de Nanterre s'en sert depuis des années pour refuser leurs régularisations.
Nous voulons une carte pérenne !
En conclusion, nous demandons que l'instruction soit revue en tenant compte des attestations de concordance, en n'opposant pas le marché de l'emploi, ainsi qu'en tenant compte des nombreuses feuilles de paye à notre nom obtenues depuis le dépôt du dossier et non prises en compte. Nous demandons la délivrance d'une vraie carte pérenne pour les 83 ex-détenteurs d'un récépissé ainsi que pour les 26 non convoqués d'octobre 2022. C'est le seul moyen pour sortir du chantage exercé par les patrons lors des renouvellements.
Régularisation, par une carte pérenne, de tous les occupants du piquet RSI.
Dans l'immédiat, nous demandons, pour tous les refusés, un nouveau récépissé avec travail et sa délivrance aux 26 non convoqués du mois d'octobre 2022.
RÉGULARISATION DE TOUS LES SANS-PAPIERS ! LA LUTTE CONTINUE !!!
Contribuez financièrement à la lutte : https://www.cotizup.com/sans-papiers-chrono-alfortvill
Donc 18 cartes ont été délivrées courant 2023. À la suite d'un recours gracieux, 9 autres ont été délivrées entre avril et octobre 2024. L'échéance de renouvellement est arrivée en février 2024 pour les 18. Et la galère continue. Seules 4 cartes ont été renouvelées. Les autres sont en bataille pour l'obtenir. Les 9 suivants les rejoignent dans ces galères, dès ce mois de janvier. La carte «salarié» est la seule carte où l'on n'est pas certain de pouvoir rester salarié. En effet, pour le renouvellement, l'administration réclame une nouvelle autorisation de travail par le ministère de l'Intérieur, qui suppose un engagement de l'employeur à employer le titulaire pour l'année à venir. La personne en intérim a de grandes difficultés pour l'obtenir. En plus, c'est à l'employeur de la demander et généralement, il ne sait pas faire, ou n'a pas envie, ou n'a pas le temps. Bref, on l'a dit, la galère continue...