Madame la Première Ministre,
Nous avons l’honneur de vous demander de prononcer la caducité du décret publié au Journal Officiel du 20 décembre 2007 déclarant d’utilité publique et urgents les travaux nécessaires à la réalisation de la liaison ferroviaire Lyon–Turin entre Saint-Jean-de-Maurienne et la frontière franco-italienne, à l’exclusion des travaux et ouvrages de surface prévus sur le territoire de la commune de Villarodin-Bourget, et emportant mise en compatibilité des documents d’urbanisme des communes de Saint-Jean-de-Maurienne, Villargondran, Saint-Julien-MontDenis, Montricher-Albanne, Saint-André, Avrieux dans le département de la Savoie (Pièce N°1) prorogé par le décret publié au Journal Officiel du 8 décembre 2017 prorogeant les effets du décret du 18 décembre 2007 déclarant d’utilité publique et urgents les travaux nécessaires à la réalisation de la liaison ferroviaire Lyon–Turin entre Saint-Jean-de-Maurienne et la frontière franco-italienne (Pièce N°2) et dont la validité est échue depuis le 20 décembre 2022.
Cette demande est notamment justifiée par les éléments suivants :
- À ce jour les travaux de creusement définitifs n'ont pas réellement débuté et les seuls creusements réalisés l'ont été sous statut de travaux de reconnaissance, bénéficiant d’une subvention européenne de 50%.
- Pas un seul tunnelier n’est en fonctionnement à ce jour et aucun tunnelier n’est prévu en livraison avant 2024 de sorte que les travaux réalisés ne sont que des travaux préparatoires.
- Le projet de creusement du tunnel entre Saint-Jean-de-Maurienne et la frontière franco-italienne, ayant fait l’objet de la DUP, que nous vous demandons de déclarer caduc, viole les DUP de protection des captages d'eaux à consommation humaine. La CNDASPE a été saisie le 8 novembre 2021 et considère qu’il s’agit effectivement d’une alerte environnementale et de santé publique.
- Les dispositions de la loi sur l’eau sont méconnues par le projet.
- Les ressources en eaux souterraines sont menacées et les sécheresses annoncées sont une modification substantielle de l'évaluation environnementale du projet. Il ressort d’analyses hydrogéologiques, méconnues par le dossier d’enquête publique, que les eaux souterraines qui seraient drainées par ce projet ne peuvent être reconstituées par la nature, aujourd’hui moins encore que par le passé, compte tenu d’une situation aggravée depuis le décret initial. Poursuivre ce projet présente un risque économique, environnemental et social majeur.
- Il ressort des éléments connus aujourd’hui que l'évaluation environnementale ayant présidé aux décrets d’utilité publique était partielle, sont ainsi constatés des atteintes et enjeux environnementaux bien supérieurs à ceux considérés par l'évaluation environnementale initiale notamment par le besoin de nombreuses ICPE (Installations Classées pour la Protection de l'Environnement) indispensables au projet et non prises en compte dans les décrets contestés, tels que des carrières et zones d’extraction, usines à béton, dépôts de déchets ... Il ressort de ces éléments matériels que les dispositions de la Charte de l’environnement sont méconnues en ce que l’environnement n’est pas préservé et que les atteintes à l’environnement du projet présentées au public l’ont été partiellement en méconnaissance des dispositions de l’article 7 de la Charte de l’environnement.
- Les prévisions socio-économiques annoncées en 2006 lors de l’enquête publique préalable à la DUP sont toutes surestimées, ainsi les trafics de marchandises annoncés entre la France et l’Italie par les Alpes du Nord qui sont inférieurs de plus de la moitié à ceux justifiant le projet. Il en ressort une valeur actualisée nette incompatible avec les critères d’utilité publique. Cette valeur négative était annoncée à - 2,880 milliards d’euros en 2006 et se trouve encore dégradée aujourd’hui. (Pièce N°3)
- Aucune prévision en matière de transports ne permet à court, moyen ou long terme d’envisager que les prévisions de trafic initiales puissent se réaliser d’autant que la crise climatique oblige à réduire les transports inutiles que l’on peut encore constater aujourd’hui sur cet axe.
- L’ensemble des administrations de l’État ont déclaré depuis 1998 que ce projet n’est pas viable économiquement comme cela a encore été rappelé par le rapport du 1er février 2018 du Conseil d’Orientation des Infrastructures, adopté à l’unanimité, remis au gouvernement.
- La condition de disponibilité du financement prévue par l'accord Franco-Italien du 30 janvier 2012 article 16 n'est pas réalisée. Cet accord postérieur à la DUP a sensiblement modifié le périmètre du projet et son équilibre économique.
- Les trafics routiers de marchandises entre la France et l’Italie sont stables depuis les années 1990 et le trafic ferroviaire de marchandises a été divisé par 5 depuis la fin des années 90 selon le rapport du Conseil Général des Ponts et Chaussées de 1998. Le trafic routier poids lourds est dans le même temps inférieur de moitié aux prévisions justifiant l’utilité publique de sorte que l’ensemble des effets externes apparaissent surestimés.
Ces quelques éléments, tous documentés et faisant consensus, doivent conduire la Première ministre à constater que les conditions de la DUP du 20 décembre 2007 ne sont pas réunies à ce jour et que cette déclaration est caduque.
Votre responsabilité est de protéger l’environnement, la santé publique et l’équilibre budgétaire. La poursuite du projet de tunnel entre Saint-Jean-de-Maurienne et la frontière franco-italienne les menace, ensemble et séparément, au préjudice de la population dans son ensemble notamment au nom de l’indissociabilité entre l’existence de l’humanité et de son milieu naturel énoncé dans les considérants de la Charte de l’environnement.
En présence de ce que nous considérons comme une catastrophe climatique et considérant que la voie ferrée existante Dijon / Chambéry / Modane permet a minima de répondre à la nécessité de diminution du trafic routier de marchandises à hauteur d’au moins 66%, il est urgent que vous déclariez caduque la déclaration d’utilité publique publiée le 20 décembre 2007.
Nous avons donc l’honneur de vous demander de publier une déclaration de caducité des effets du décret du 18 décembre 2007 « déclarant d’utilité publique et urgents les travaux nécessaires à la réalisation de la liaison ferroviaire Lyon–Turin entre Saint-Jean-de-Maurienne et la frontière franco-italienne » prorogés par le décret publié le 8 décembre 2017 et vous souhaitant bonne réception de la présente, nous vous prions,
Madame la Première Ministre d'agréer l'expression de notre haute considération.
Daniel IBANEZ
Gabriel AMARD, Député
François COULOMME, Député
Annie COLLOMBET et Philippe DELHOMME, coprésidents Vivre et Agir en
Maurienne
Julien TROCCAZ Secrétaire Fédéral SUD-Rail
Christophe LEBRUN président Amis de la Terre Savoie
Simon DUTEIL Co-délégué général de l'Union syndicale Solidaires,
Raymond AVRILLIER Maire-adjoint honoraire CIPRA.
Alain BOULOGNE vice-président de Cipra France Groupe Les Écologistes,
Fabienne GREBERT co-présidente Région Auvergne-Rhône-Alpes
Maxime MEYER co-président Région Auvergne-Rhône-Alpes
Vincent GAY, Alexandra CARON-CUSEY ATTAC
Khaled GAIJI président Les Amis de la Terre France
Marc PASCAL porte parole EELV Pays de Savoie