Le 8 juin, les sénateurs ont adopté un amendement prévoyant que le droit syndical dans la magistrature s’exerce « dans le respect du principe d’impartialité ». Cette tribune collective parue dans le journal Libération dénonce une manœuvre politique, qui suggère qu’un magistrat syndiqué est forcément partial, est particulièrement inquiétante, dénoncent des intellectuels et des syndicats.
Comment ne pas s’interroger sur les réelles motivations d’une dizaine de sénateurs ayant obtenu le 8 juin dernier, par amendement, la restriction de la liberté syndicale des magistrats ? En apparence, l’amendement peut sembler ne pas poser de difficulté. Pourquoi s’offusquerait-on du fait que le législateur rappelle les magistrats à l’une de leurs obligations principales et principe fondateur de leur déontologie : l’impartialité ? Parce que l’allégation repose, en réalité, sur une confusion entre l’acte de juger et l’exercice de la liberté syndicale – confusion bien opportune qui relève d’une manœuvre politique particulièrement inquiétante.
En demandant à ce que soit inscrit dans l’ordonnance qui régit le statut des magistrats que le droit syndical s’exerce « dans le respect du principe d’impartialité », les sénateurs ont souhaité donner corps à l’idée, juridiquement erronée mais politiquement habile, selon laquelle un magistrat syndiqué est nécessairement partial dans son office juridictionnel. La proposition sous-entend, en outre, que ce même magistrat devrait, dans son activité syndicale, s’abstenir de toute prise de position critique sur des questions qui intéressent pourtant directement son activité professionnelle. Flou conceptuel
Si l’impartialité confère sa pleine et entière légitimité à l’acte de juger, elle s’impose au juge confronté aux affaires individuelles dont il a à connaître et n’a pas sa place dans la vie syndicale. Au contraire, ce que la libre critique syndicale a de fondamental est qu’elle donne la parole à celles et ceux qui en sont dépourvus et ce dans l’intérêt de tous les justiciables. A plus forte raison s’agissant de questions en lien avec la justice et les libertés – donc strictement politiques, n’en déplaise aux auteurs de l’amendement – puisque celles-ci sont indissociables des conditions d’exercice des fonctions de magistrat. C’est ce que la Cour européenne des Droits de l’homme (CEDH) a précisément rappelé il y a quelques jours : en tant qu’acteur de la société civile, un magistrat a le droit et même le devoir d’exprimer son avis dès lors que ses déclarations relèvent d’un débat sur des questions d’intérêt public. La justice n’est pas seulement l’affaire des juges. Elle concerne tous les citoyens.
Dissuasion et discrédit. Voilà les effets concrets de la disposition ajoutée à l’ordonnance statutaire des magistrats. Elle consacrera un flou conceptuel pour définir les paroles syndicales autorisées ou non, conférant ainsi un pouvoir exorbitant aux autorités disposant du pouvoir disciplinaire sur les magistrats, au premier rang desquelles le garde des Sceaux. Elle discréditera d’emblée toute décision d’un juge ou procureur syndiqué, niant sa faculté de distinguer sa mission juridictionnelle de l’expression légitime de ses réflexions sur les questions de justice.
Il s’agit donc bien de brider la liberté syndicale des magistrats et plus largement la liberté d’expression dans la magistrature.
Nous exhortons les députés et le gouvernement à ne pas entériner cette régression démocratique sans précédent.
Premier⋅es signataires...
Organisations
- ASM (association syndicale des magistrats)
- Association française des juristes démocrates
- Association nationale des juges de l’application des peines
- ATTAC
- CGT
- CGT Chancelleries & Services Judiciaires
- CGT Insertion et probation
- CGT Protection judiciaire de la jeunesse
- Collectif Nos Services Publics
- Flagrant Déni
- Fondation Copernic
- FSU
- GISTI
- La Quadrature du Net
- Ligue des droits de l’Homme
- MEDEL (magistrats européens pour la démocratie et les libertés)
- MRAP
- Observatoire international des prisons (section française)
- SNEPAP-FSU
- SNPES-FSU/PJJ
- SNU-TEFI-FSU
- Solidaires
- Syndicat des avocats de France
- Syndicat de la juridiction administrative
- Syndicat de la magistrature
- Syndicat national des journalistes
- Transparency International
- UNEF
- Union des syndicats CGT Paris
- UFSE-CGT
- Union syndicale des magistrats administratifs
Personnes physiques
- Etienne Balibar, professeur honoraire, Université de Paris-Nanterre (Philosophie)
- Delphine Boesel, avocate
- William Bourdon, avocat
- Vincent Brengarth, avocat
- Barbara Cassin, académicienne
- Johann Chapoutot, historien, professeur à la Sorbonne (Sorbonne Université)
- Patrick Chemla, membre du conseil national de l’Union Syndicale de la Psychiatrie
- Jacques Commaille, professeur émérite de sociologie à l’Ecole normale supérieure de Cachan
- Christophe Dejours, psychanalyste, professeur émérite de l’Université Paris Nanterre et directeur scientifique de l’Institut de Psychodynamique du travail
- Benjamin Fiorini, maître de conférence en droit privé
- Simone Gaboriau, magistrate, ancienne présidente du Syndicat de la magistrature
- Virginie Gautron, maître de conférences en droit pénal à l’Université de Nantes
- Stéphanie Hennette Vauchez, professeure de droit public à l’Université Paris Nanterre, directrice du Centre d’études et de recherches sur les droits fondamentaux (CREDOF)
- Christine Lazerges, professeure émérite de l’université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, ancienne présidente de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH)
- Danièle Lochak, professeure de droit émérite de l’université Paris Nanterre
- Christian Mouhanna, sociologue, chercheur au CNRS
- Thomas Piketty, économiste
- Pierrette Poncela, professeur émérite, Droit privé et sciences criminelles
- Claude Ponti, illustrateur et auteur
- Dominique Pradalié, journaliste, présidente de la Fédération internationale des journalistes
- Serge Slama, professeur de droit public
La liste complète des signataires (PDF) est tenue à jour sur le site du Syndicat de la Magistrature, où le texte peut encore être signé.