L’assassinat le 13 octobre dernier au lycée Gambetta d’Arras de Dominique Bernard, professeur de français, les graves blessures causées à deux personnels de l’établissement, ont plongé notre pays dans l’effroi. Face à cet acte ignoble et injustifiable, nos associations expriment à nouveau leur plein soutien aux victimes, à leurs proches, à la communauté éducative une nouvelle fois endeuillée. Dans ce contexte tragique, la tournure du débat médiatique et politique s’est révélée particulièrement alarmante pour notre démocratie, notre cohésion sociale et la protection de l’Etat de droit.
Le déferlement des préjugés et raccourcis liant, sans aucun recul ni souci d’exactitude, immigration, délinquance et terrorisme, confortant la stigmatisation des personnes étrangères, attisant les tensions et les divisions, est d’abord dramatique. Alors que le passé nous a démontré qu’on ne peut établir de lien automatique entre origine, nationalité et implication dans des attentats, alors que nombre de travaux de recherches démentent le présupposé selon lequel les personnes étrangères seraient davantage délinquantes, il est atterrant de voir à quel point amalgames et contre-vérités se diffusent dans le débat politique et médiatique, avec si peu de contradictions.
Une véritable campagne de haine
Des associations de solidarité qui s’étaient mobilisées en 2014 contre la séparation et l’expulsion du meurtrier présumé font depuis lors l’objet de critiques virulentes de certaines figures politiques ou médiatiques, qui alimentent ainsi une véritable campagne de haine, incluant des intimidations, menaces et dégradations. Depuis plusieurs années, nous assistons à la répétition d’attaques contre les acteurs du monde associatif engagés dans la défense des personnes exilées ou des droits humains ; un jour désignés complices des passeurs, un autre complices des terroristes, le lendemain menacés de voir leurs subventions coupées.
Ces attaques infondées et caricaturales contre les corps intermédiaires que sont les associations représentent une véritable menace pour notre Etat de droit et pour la vitalité démocratique de notre pays. Elles peuvent aussi mettre en danger les milliers de bénévoles et salariés qui œuvrent au quotidien dans ces associations, auprès des personnes en situation de vulnérabilité, et qui pallient bien souvent les défaillances de l’Etat. Enfin, la présentation du projet de loi asile et immigration comme débouché et solution politique miracle après le drame d’Arras, accompagnée d’une surenchère de nouvelles mesures répressives au détriment des droits fondamentaux, est une réponse inadaptée et dangereuse pour notre société.
La contestation voire le mépris affiché pour le respect par la France des conventions internationales, prônée par le ministère de l’Intérieur lui-même, et largement banalisée dans le débat politique et médiatique, témoigne d’une grave perte de repères sur ce qu’est l’Etat de droit. Alors que la période appelle apaisement et cohésion, les orientations gouvernementales nous projettent à l’inverse dans un abîme d’arbitraire, de stigmatisation et de précarisation accrue de nombreuses personnes étrangères ; des mécanismes qui ont toujours fait le lit des ressentiments et de la violence.
Nos associations en appellent au gouvernement, aux responsables politiques, à l’ensemble du corps social, pour prendre d’urgence la mesure de ces dérives majeures à l’égard de notre Etat de droit et de notre démocratie, et combattre ces injustices à venir. Et pour faire à l’inverse triompher la tolérance, l’inclusion, la solidarité et le respect des droits fondamentaux.
Liste des signataires :
- Amnesty International France : Jean-Claude Samouiller, président
- Anafé (Association nationale d’Assistance aux Frontières pour les Personnes étrangères) : Alexandre Moreau, président
- Anvita (Association nationale des Villes et Territoires accueillants) : Damien Carême, co-président et eurodéputé
- Ardhis (Association pour la Reconnaissance des Droits des Personnes homosexuelles et trans à l’Immigration et au Séjour) : Aude Rieu, présidente
- Adde (Avocats pour la Défense des Droits des Etrangers) : Morade Zouine, co-président
- CCFD-Terre Solidaire : Sylvie Bukhari-de-Pontual, présidente
- Cimade : Henry Masson, président
- Comede : Didier Fassin, président
- Crid (Centre de Recherche et d’Informations pour le Développement) : Noura Elouardi, coordinatrice exécutive
- Emmaüs France : Antoine Sueur, président
- Fasti (Fédération des Associations de Solidarité avec Tou·te·s les Immigré·e·s) : Camille Gourdeau, co-présidente
- Fédération de l’Entraide protestante : Isabelle Richard, présidente
- Forim (Forum des Organisations de Solidarité internationale issues des Migrations) : Mackendie Toupuissant, président
- GAS (Groupe Accueil et Solidarité) : Philippe Dupourqué, Président
- Gisti (Groupe d’information et de soutien des immigré·e·s) : Vanina Rochiccioli, Co-présidente
- Humanity Diaspo : Rana Hamra, directrice exécutive
- Ligue des Droits de l’Homme : Patrick Baudouin, président
- Médecins du Monde : Florence Rigal, présidente
- Médecins sans Frontières : Xavier Crombé, Chef de Mission France
- Mrap (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les Peuples) : Jean-François Quantin, co-président
- Observatoire international des Prisons - section française : Matthieu Quinquis, président
- Pantin solidaire : Carole Desheulles, présidente
- Paris d’Exil : Oriane Sebillotte, co-présidente
- Perou (Pôle d’Exploration des Ressources urbaines) : Jean-Michel Frodon, président
- Polaris 14 : Bruno Tesan, co-fondateur et directeur
- RESF (Réseau Education sans Frontières) : Armelle Gardien, coordinatrice
- Secours xatholique : Véronique Devise, présidente
- Sidaction : Florence Thune, directrice générale
- Singa : Benoît Hamon, directeur général
- Syndicat de la Magistrature : Kim Reuflet, présidente
- Syndicat des Avocats de France : Claire Dujardin, présidente
- Thot (Transmettre un Horizon à Tous) : Félix Guyon, délégué général
- Tous Migrants : Anne Gautier, co-présidente
- Union syndicale Solidaires : Cybèle David, secrétaire nationale
- Utopia 56 : Yann Manzi, délégué général
- VoxPublic : Jean-Marie Fardeau, délégué national