Tribune parue dans Libération le 24 juillet 2024. A lire ici et ci-dessous
Les Jeux olympiques et paralympiques de Paris 2024 (JOP) se déroulent dans un moment de crise politique nationale et de tensions internationales. Ces jeux ont été promus auprès de la population française sur la base de promesses ambitieuses : des jeux inclusifs et populaires, neutres en carbone, porteurs de bénéfices inédits et d’héritages positifs.
Après des années de préparation, nombre de ces promesses n’ont pourtant pas été et ne seront pas tenues. Nous constatons que les jeux bouleversent en profondeur la vie des Françaises et Français, sans que l’héritage promis soit au rendez-vous.
Une question se pose alors : à qui profitent les jeux ?
Pas aux personnes les plus exclues.
Paris 2024 a fait la promesse de « léguer une société plus inclusive après les jeux ». Pourtant, afin de montrer Paris et sa région sous leur meilleur visage, plus de 12 500 personnes ont été expulsées de lieux de vie informels en un an et les personnes en situation de grande exclusion ont été dispersées et éloignées de la capitale par de vastes opérations de nettoyage social.
L’invisibilisation forcée de ces milliers de personnes renforce encore leur situation déjà précaire, les isolant et les coupant des dispositifs sociaux, sans aucune solution alternative ni prise en charge. La promesse d’héritage social s’est transformée en un héritage anti-social.
Pas aux travailleur·ses sans-papiers.
Plus d’une centaine de travailleur·ses sans-papier ont été exploité·es
Plus d’une centaine d’entre eux ont été employé·es et exploité·es au mépris de leurs droits. Lors d’un contrôle sur le chantier du village olympique, en Seine-Saint-Denis, le 25 mars 2022, des inspecteurs du travail ont comptabilisé un·e ouvrier·e sur six en situation irrégulière, sur ce seul site. Malgré les contrôles, les grèves et les recours administratifs, la plupart n’ont toujours pas reçu de titres de séjour pour régulariser leur situation.
Combien d’autres encore seront-ils mobilisés sans respect pour leurs droits, afin d’assurer la sécurité, le nettoyage et la restauration pendant les jeux ? Et les alertes du monde du travail ne se limitent pas qu’aux personnes sans-papier : en juin 2023, Amara Dioumassy, un travailleur malien régularisé et employé en CDI, est mort sur le chantier d’assainissement de la Seine.
Les jeux ne profitent pas non plus aux habitant·es les plus précaires.
Ils se déroulent en très grande partie en Seine-Saint-Denis, département où habitent le plus grand nombre de personnes pauvres en France. C’est un territoire en pleine mutation qui s’inscrit dans le processus de fabrication de la métropole du Grand Paris. Cette transformation urbaine organisée par l’État et accompagnée par les collectivités territoriales et locales augmente les valeurs immobilières et locatives (+ 25,5 % d’augmentation du prix au m² à Saint-Denis en cinq ans alors que la demande en logement social est très forte).
C’est aussi le département où l’on manque le plus d’infrastructures sportives en France, avec un taux d’équipement trois fois inférieur à la moyenne nationale. Quatre infrastructures sont sorties de terre grâce aux JOP, une demi-douzaine de sites ont été rénovés ou agrandis. C’est bien loin d’être suffisant pour combler le manque préexistant, avec un budget de l’État pour le sport qui, dans le même temps, est en baisse hors dépense pour les JO. Pour les habitant·es de la Seine-Saint-Denis, les comptes ne sont pas bons.
Pas, non plus, à l’environnement et au climat. *
Avec 2 500 climatiseurs distribués ?
Des sites naturels ont été endommagés pour ces jeux : la barrière de corail de Teahupoo pour une tour d’observation, les jardins ouvriers d’Aubervilliers et l’aire des Vents du parc Georges-Valbon en Seine-Saint-Denis. En regard des promesses de sobriété, les émissions prévues n’ont pas pris en compte les déplacements en avion ni les choix contradictoires des délégations nationales. Par exemple, le comité d’organisation a opté pour des chambres sans climatisation à des fins écologiques. Mais certaines délégations ont décidé de déroger à la règle, et 2 500 climatiseurs mobiles vont leur être remis.
A Saint-Denis, le village des athlètes est équipé d’arbres artificiels pour filtrer l’air, alors que non loin de là, le réaménagement d’un échangeur autoroutier impacte la vie des habitants et des enfants scolarisés du quartier Pleyel. Enfin, le rôle joué par Coca-Cola, sponsor imposé et leader mondial des déchets plastiques, engendre une distribution colossale de bouteilles en plastique, qui contourne la loi anti-gaspillage. L’héritage de sobriété et d’écologie s’est transformé en un héritage d’artificialisation et de pollution.
Pas, non plus, aux libertés publiques.
Dans le cas de Paris 2024, un discours insistant sur les risques de terrorisme a permis de justifier des avancées sécuritaires préoccupantes. Multiplication des caméras de surveillance en Seine-Saint-Denis, tentative de légitimation de la vidéosurveillance algorithmique, ou encore traçage de la population avec l’obligation de présentation de QR Codes uniques.
Tous ces dispositifs s’ajoutent à l’important déploiement des forces de l’ordre et militaires dans les rues de Paris. L’utilisation et la pérennisation de ces technologies de contrôle sont de véritables préoccupations pour l’ensemble des défenseur·euses des libertés publiques. Cet héritage sécuritaire est porteur de mesures liberticides particulièrement dangereuses dans le contexte politique actuel.
Nous le savons : pour que les jeux profitent véritablement aux populations et territoires hôtes, ces dernières doivent être consultées et associées à toute décision de candidature.
C’est pourquoi nous exigeons la mise en œuvre d’une véritable expression démocratique, par une consultation populaire directe, avant la tenue de futurs événements olympiques et paralympiques en France. Il n’est pas trop tard pour le faire auprès des habitant·es des régions Auvergne-Rhône-Alpes et Provence-Alpes-Côte-d’Azur, qui devraient accueillir les Jeux d’hiver 2030. Il est temps pour une Assemblée nationale recomposée de tirer les leçons de Paris 2024 et d’empêcher d’autres dégâts sociaux et environnementaux.
Nous ferons entendre nos voix, le 25 juillet, avant la cérémonie d’ouverture, lors d’un rassemblement festif et réellement inclusif place de la République, et appelons à une large mobilisation populaire à cette occasion.
Premiers signataires
Médecins du monde IDF, Attac, Extinction Rebellion, le Cahier citoyen Plaine commune, Saccage 2024, Union Syndicale Solidaires, Résistance à l’agression publicitaire (RAP), Youth for Climate IDF, MNLE-93 NEP, le Collectif bus de Saint-Denis, le Comité de vigilance JO 2024 à Saint-Denis, la Quadrature du Net, la FCPE Pleyel-Anatole-France.