Loi plein emploi et France Travail : non au travail forcé, oui à la dignité !

Le gouvernement Borne a fait voter la loi dite du « plein-emploi » le 18 décembre 2023. Les dispositions de cette loi sont prévues pour être appliquées sur une période allant de 2024 à 2027, avec plusieurs moments clés :

  • le 1er janvier 2024, le changement de Pôle Emploi en France Travail avec la création d’un Réseau Pour l’Emploi regroupant Pole Emploi, les Missions Locales (pour les jeunes), le réseau Cap emploi (pour les personnes en situation de handicap) et les différents services publics pilotés par l’État ou les collectivités locales (régions, départements, communes…) dans l’objectif de centraliser toutes les composantes d’aide à l’emploi.
  • À partir du 1er janvier 2025 et s’étendant sur une période de deux ans, l’inscription automatique des bénéficiaires du RSA, de leurs conjoint-e-s et des personnes suivies par les Missions Locales à France Travail (pour les allocataires avant le 1er janvier 2025), la signature d’un « contrat d’engagement » incluant un rendez-vous obligatoire avec une conseillere de France Travail pour pouvoir accéder à ses droits et l’obligation d’effectuer 15h d’activités hebdomadaires minimum pour toutes les personnes inscrites à France Travail. Ce qui inclut l'obligation d’assister aux différents rendez-vous et ateliers « proposés » comme des stages d’immersion en milieu professionnel sous peine de sanctions comme la perte totale ou partielle des revenus liés au RSA.
  • La régression des droits pour bénéficier de l’assurance chômage. La période nécessaire pour en bénéficier a été modifiée de 4 mois sur 28 en 2019 à actuellement 6 mois sur 24 tandis qu’en parallèle le mode de calcul du montant et de la durée d’ouverture de droits n’a eu de cesse de baisser drastiquement. A noter que cette durée a été abaissée à 5 mois pour les travailleurs/ses saisonnier-e-s à partir du 1er avril 2025.
  1. Comment se passe concrètement la mise en place de la loi ?

La contre-réforme du « Plein Emploi » se met en œuvre progressivement et après une phase de calage en 2024, elle est appliquée à marche forcée depuis le 1er janvier 2025.

Pour les personnes qui étaient bénéficiaires du RSA et leurs conjoint-e-s avant le 1er janvier 2025 : elles doivent s’incrire à France Travail et ont 2 ans pour le faire. Une fois inscrites, elles ont obligation de participer à un rendez-vous avec un·e conseiller·e de France Travail. C’est par cet entretien d‘orientation (ou EDO) que le ou la conseiller-e déterminera si l'accompagnement sera social, socioprofessionnel ou débouchant sur une recherche d'emploi. Un contrat d'engagement sera signé dans un second temps avec la structure accompagnante, soit le conseil départemental si l’accompagnement est social, France Travail, Missions locales ou Cap emploi pour les autres. L’ensemble des démarches à effectuer devront être justifiées tous les mois auprès de France Travail.

L’objectif affiché est que les personnes retrouvent au plus vite du travail afin de sortir des « trappes à précarité », car « le travail c’est l’autonomie ». Or, avoir une activité professionnelle salariée ou non salariée ne signifie pas toujours vivre dignement parce que travailler en étant précaire broie souvent la santé physique et psychique. Etre précaire sans emploi ou employé-e dans une entreprise qui paie mal, à temps partiel contraint ou avec des horaires coupés, en enchaînant ou superposant les contrats précaires ou dans des conditions mettant en péril la sécurité des salariées voir en auto entreprenariat, cela ne permet pas de sortir de la précarité, au contraire, ça la renforce.

Pour les personnes qui n’étaient pas déjà bénéficiaires du RSA, de moins de 25 ans en recherche d’emploi ou en situation de handicap avant le 1er janvier 2025, elles passent désormais par un rendez-vous dit d’orientation (en fait du « triage » ou de la « segmentation ») avec un-e conseiller-e de France Travail pour déterminer leur situation au regard de la recherche d’emploi et déterminer si leur situation correspond au dispositif d’insertion professionnelle. Ce rendez-vous s’ajoute à celui déjà obligatoire de la CAF. Cela implique de devoir se justifier à deux branches très différentes. En effet, les travailleurses de la CAF s’occupent de dossiers divers et variés mais qui concernent tous la situation sociale (logement, famille, handicap, etc.) de la personne. Cela n’est pas le cas des agent-es de France Travail qui s’occupent « d’insérer » les personnes dans le monde professionnel. Grosso modo, cela signifie renforcer les contrôles sur la recherche d’emploi et la fraude supposée pour tous/toutes les inscrit-es à France Travail. Ainsi les objectifs en 2023 puis 2024 sont de passés de 600 000 contrôles par an à 1,5 million soit un triplement en 3 ans. Alors qu’il est établi notamment par le rapport du Haut Conseil du Financement de la Protection Sociale (HCFiPS) de 2024 que la « fraude sociale » aux assurances sociales (CPAM, CAF, CARSAT ou France Travail) est pour les deux tiers le fait des professionnels et des entreprises et qu’elle est estimée être 6 fois moins importante que la fraude fiscale. A France Travail quand on parle de contrôles avec « succès » cela inclut des erreurs de déclarations, avec trop-perçu, oublis, etc..

Le système de sanctions déjà en partie automatisé – sans intervention humaine ! - et exponentiel va de plus connaître une explosion avec la nouvelle procédure dite de « suspension redynamisation » prévue dans la loi. Elle consiste à suspendre les droits à allocation (chômage, solidarité, RSA…) dès qu’un « faisceau d’indices » fait penser que la personne inscrite ne remplit pas ses engagements dont celui des 15h d’activités hebdomadaires minimum pouvant jusqu’à 35h. Ensuite, une fois la suspension de droits appliquée, les conseilleres de France Travail ou du Réseau Emploi doivent évaluer avec la personne sanctionnée si cette sanction est justifiée et sinon la « redynamiser » dans ses démarches afin de rétablir la personne dans ses droits mais pas forcément en totalité !

Inutile d’expliquer en quoi l’augmentation mécanique du nombre des contrôles - et donc des sanctions- aggravée par cette procédure inique de « suspension redynamisation » va dégrader la situation de milliers de personnes, avec comme conséquences du mal-être chez les usager.ère.s mais aussi chez les agentes du Réseau Pour l’Emploi considéré-e-s comme des contrôleurs/ses et non pas des conseiller-e-s.

2. Qui sont les personnes impactées par la réforme ?

La loi prévoit de rares exceptions aux mesures ci-dessus et notamment l’obligation des 15h d’activités hebdomadaires minimales pour les personnes qui se trouvent dans la situation suivante : parent isolée avec enfant de moins de 12 ans, invalides, problèmes de santé et handicap.

Mais dans les faits cette contre-réforme cible précisément les personnes déjà les plus précaires car l’objectif du « plein-emploi » consiste à augmenter la « création » d’emplois dans les « métiers en tension », concept patronal fumeux et donc, insérer à marche forcée les précaires dans des emplois et secteurs qui ne sont pas nécessairement adaptés pour elleeux. Il s’agit des métiers dont les conditions de travail sont parmi les plus dégradées avec une protection sociale limitée : restauration, hôtellerie, ménage, aide à domicile, BTP, transports, sécurité …

Cette orientation forcée vers les métiers les plus difficiles aura pour conséquence d'engendrer de la discrimination envers les personnes racisées ou selon leur nationalité, classe sociale, genre, âge, condition physique et psychologique, ce qui existe déjà massivement avec la CAF. Systématisation de l’humiliation et de l’exclusion : voilà les mots d’ordre de cette réforme.

3. la loi « plein emploi » massifie des discriminations

Dans les faits, les personnes qui se retrouvent dans ce que l’on appelle le « halo du chômage » (concept développé par l’Insee), c’est-à-dire qui gravitent dans des emplois précaires, mal payés, à temps partiel contraint ou avec des roulements de personnels perpétuels … se retrouvent en dépendance des minimas sociaux et des aides sociales. Le plus souvent ce sont des personnes qui ont le moins d’entourage et de famille (femmes isolées notamment) et qui ont peu ou pas d’organisations collectives dont les syndicats pour défendre leurs droits. In fine, avec un renforcement des contrôles et des sanctions, le résultat c'est que la solidarité repose de plus en plus sur la famille plutôt que sur la société puisque ce dispositif encourage le non-recours aux prestations sociales et la fuite en avant vers une précarité certaine.

Ainsi, si la société ne compense pas d’elle-même par de la redistribution pour toutes en fonction des moyens et des besoins, les hiérarchies qui structurent la société et les discriminations existantes sont exacerbées qu’elles soient sexistes et de genre, racistes, validistes. Mais également de classe, les précaires étant assignées aux emplois dégradés en termes de conditions de travail et de salaires ou encore d’âge, la précarité étant plus forte en début ou en fin de vie dite active, âges où l’employabilité est considérée comme plus faible par le patronat soit par manque d’expérience ou par baisse de la rentabilité.

4. Stop à la stigmatisation des précaires !

Est-ce que les chômeur-ses et autres bénéficiaires de « minima sociaux » coûtent réellement « un pognon de dingue » sans qu’ielles puissent sortir de leur situation ? En 2022, l’ensemble des « minimas sociaux » (dont principalement le RSA et l’AAH) ont représenté selon la DREES 30,6 milliards d’euros, soit moins de 4 % des prestations de sécurité sociale, chiffre à rapporter aux montants cumulés de la fraude sociale et fiscale en France, soit près de 100 milliards d’euros. S’il y a du pognon de dingue, il est là ! Sachant que comme déjà dit le système des aides sociales en France est certainement le plus contrôlé. Et que les contrôles, croisements de fichiers … ne cessent de se renforcer. Sans commune mesure avec l'absence de contrôle du dispositif des aides aux entreprises !

Ensuite il faut redire que l’on ne « profite » pas « du système » avec 605 euros par mois - pour une personne seule au RSA en métropole - montant très en dessous du seuil dit de « pauvreté » : au mieux on survit. Si le RSA était une allocation si attrayante pourquoi dans ce cas 1 RSA sur 3 ne trouve pas preneur (plus de 30 % de non recours) ? Idem pour les montants moyens des allocations chômage qui ne couvrent qu’une minorité de privé-es d’emploi (40% à peine des chômeurs/ses ont des allocations selon les chiffres récents)

Les personnes qui bénéficient des aides ne « coûtent » pas, soit disant parce qu’elles ne produisent aucune « richesse ». Leur utilité sociale est en réalité multiple : bénévoles dans des associations ou auprès de collectivités, reprises d’études, artistes, agriculteur.ice.s, etc. Sans compter les effets positifs comme prendre soin de sa santé, s’occuper de personnes vulnérables, se faire des ami.e.s, avoir des loisirs, etc. Tout cela participe à l’activité économique : de plus trouver un emploi dans un contexte où celui-ci est rare... est un travail en soi !

On n’arrête pas de travailler par plaisir. Les ruptures de contrats subies par les salariées et donc décidées par les seuls employeurs (licenciements, ruptures conventionnelles, défaillances d’entreprises, contrats non renouvelés …) dépassent très largement 80% des cas de rupture.

Encart :

Maltraitance à France Travail !

La loi « Plein Emploi » donne moins de moyens aux agentes du Réseau Pour l’Emploi pour faire le travail nécessaire à une insertion ou réinsertion : qui dit plus de personnes inscrites automatiquement et obligatoirement à France Travail (allocataires RSA et leurs conjoint-es notamment) conduit à moins de temps consacré à chaque situation. Le directeur général actuel de France Travail vient de donner fin 2024 des directives pour réduire le temps consacré à une orientation professionnelle. Alors que le plus souvent seul le temps long permet réellement d’aider. Les résultats, ce sont les confrontations difficiles et parfois violentes avec les usager-es (pour lesquelles des formations sont prévues), l’augmentation des non-recours aux aides et allocations, le recours plus important à une sous-traitance des dossiers par des entreprises privées … Cela porte un nom : la maltraitance institutionnelle.

La mission première de France Travail devrait être de porter secours aux personnes précaires, avec ou sans emploi, pour leur permettre de sortir de la précarité. Or sa mission de contrôle, bien que contradictoire avec sa mission première, est devenue prégnante d’autant plus que le secteur social ne peut et ne doit pas être lucratif pour fonctionner. Les agent-es sont donc confrontés à un oxymore entre la solidarité, principe politique essentiel à l’équilibre de nos sociétés pour permettre la dignité humaine et la rentabilité qu’on leur impose et qui n’a aucun sens ici. Cette dernière empêche la satisfaction des besoins essentiels pour les personnes et la société.

La loi prévoit-elle vraiment la possibilité du plein emploi ?

La réalité c’est qu’il n’existe pas suffisamment de propositions d’emplois salariés (156 000 créations seulement en 2023) correspondant à la norme minimale admise pour être qualifié de « digne » - à temps plein, à durée indéterminée avec une véritable couverture sociale - à pourvoir pour le nombre de bénéficiaires inscrites à France Travail. Le rapport est d’1 emploi salarié proposé pour 10 chômeure-s en moyenne. Pour les capitalistes, plein emploi ne veut pas dire absence de chômage mais que son taux par rapport à la population dite active soit inférieur ou égal à 5 %, qui correspond au chômage « naturel » selon les libéraux… Pour être encore plus clair, 1,5 million de chômeurses pour Macron, c’est ça le plein emploi !

Et pour y parvenir, la réponse de la loi est très simple : détruire la norme d’emploi « digne », la remplacer par des emplois jetables, précaires, sans protection sociale… où les salariées sont corvéables à merci pour promouvoir in fine des formes d’auto-entreprenariat et d’auto-exploitation pour une société du chacun pour soi, chacun son assurance sociale ou pas !

« Le plein-emploi » par tous les moyens est clairement assimilable à une forme « moderne » de travail forcé. Cela s’est produit dans l’Eure où un maire a exigé dans le cadre de l’activité obligatoire de rénover le jardin communal. C’est une atteinte aux Droits humains comme l’a déclaré la Commission Nationale Consultative des Droits de l’Homme dans une note du 18 décembre 2024. Cette loi est une infraction au préambule de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1946, c’est-à-dire au droit pour toute personne « à des moyens convenables d’existence », et du droit à « une insertion professionnelle librement choisie » de la Charte sociale européenne que la France a signé.

En résumé ce n’est pas le ou la chômeur-e qu’il faut combattre, c’est le chômage qu’il faut éradiquer !

Que faire face à cette loi et ses conséquences ?

L’Union syndicale Solidaires exige donc l’abrogation de cette loi qui est en fait une machine à broyer les personnes les plus précaires et leur faisant peser la responsabilité de leur situation. L’objectif annoncé de cette réforme « le plein-emploi », dont l’objectif et les contours sont déjà contestables sur le fond, ne peut pas être atteint par la contrainte et la sanction.

La réponse doit être collective : que l’on soit en emploi et/ou simplement bénéficiaire, il faut se syndiquer auprès du syndicat du secteur professionnel ou le collectif de précaires le plus proche afin de lutter contre son application et obtenir de vrais droits pour l’assistance et l’assurance, sans avoir à se justifier et pouvoir enfin vivre dignement plutôt que dans la honte.

La réponse c’est aussi et surtout de lutter réellement contre le chômage. Pour cela, l’Union syndicale Solidaires revendique une véritable politique de création d’emplois avec la réduction du temps de travail à 32h sans perte de salaire ni flexibilité, des embauches massives dans les services publics et des créations d'emplois dans les secteurs écologiques et correspondant aux besoins sociaux ! Elle exige l’interdiction des licenciements dans les entreprises réalisant des profits. Elle revendique la continuité du salaire et des droits sociaux entre deux emplois. Contre le chômage, augmentons massivement les salaires, exigeons un SMIC à 2000 euros net avec des minimas sociaux de même hauteur et l'indemnisation de toutes/tous les chômeurs-ses, dans le cadre d'une sécurité sociale du chômage !

Luttons ensemble tous-tes les travailleur-ses pour une société de la dignité pour toutes et tous !