Pour Solidaires :
Évidemment, le premier constat est que la situation d’inégalité est directement liée aux inégalités salariales Femmes/hommes qui persistent et à la durée de carrière plus courte des femmes. Il faut aussi tenir compte de la pénibilité non reconnue de métiers majoritairement occupés par des femmes comme le nettoyage, les services à la personne qui ont des conséquences importantes sur leur santé, ce qui impacte leur capacité à pouvoir aller au bout de la durée de cotisation.
Quand une réforme des retraites se profile, on se doit d’examiner les dispositifs censés compenser ou amoindrir ces écarts existants, la manière dont ils compensent (ou pas) les inégalités femmes hommes au moment de la retraite, y compris la manière dont les compensations à destination des plus précaires et plus pauvres interagissent.
Mais il faut aussi voir plus globalement dans quelle mesure ce qui est envisagé a un impact sur l’indépendance économique des femmes, et ne renforce pas leur assignation à rester les premières à s’occuper de l’éducation, et/ou la garde de leur enfant.
Quelques remarques sur les documents fournis sur la partie constat :
- Le document ministériel note que les dispositifs de solidarité bénéficient relativement plus aux femmes : ils représentent 29 % du montant de leurs pensions contre 18 % pour les hommes.
Cette présentation est exacte, mais biaisée. Car en absolu, les montants versés au titre de la solidarité aux hommes et aux femmes ne sont pas très différents : 31,4 milliards pour les femmes contre 29,5 milliards pour les hommes2.
- Concernant la redistribution vers les pensions les plus modestes, ils sont également mal conçus. Certes, en proportion, ils bénéficient plus aux plus modestes : ils représentent 55 % du montant des pensions de droit direct du premier quartile (les 25 % les plus modestes) contre 14,9 % pour le dernier quartile3.
Mais, en absolu, les masses versées au titre de ces dispositifs sont bien plus importantes pour les plus aisés : elles sont plus de deux fois plus importantes pour les 25 % de retraité·es les plus aisé·es, que pour les 25 % les plus modestes (32,3 % contre 14 %).
-sur les inégalités de pension femmes-hommes :
Le document (diapo 6) témoigne des (fortes) inégalités actuelles, mais il faut aussi rappeler que l’évolution projetée n’est pas du tout satisfaisante.
La réduction des inégalités entre les pensions des femmes et des hommes est en effet très lente : les projections du COR affichent que le rapport pension des femmes sur pension des hommes (Pf/Ph) devrait augmenter pour atteindre 84 % en 2037 (page 229), qu’il n’atteindrait pas l’égalité mais se stabiliserait à terme autour de 90-92 % !
Il semble que ces projections soient optimistes (malgré l’écart qui est supposé pérenne) si on les met en regard avec la situation observée depuis quelques années : on constate en effet depuis 7 ans une stabilisation du rapport Pf/Ph, et on ne voit pas bien ce qui peut expliquer la brusque augmentation qui est projetée à partir de 2020 .
Pour Solidaires : Les dispositifs de redistributions actuels ne sont pas assez opérants. Les comparatifs hommes/femmes des bénéfices de ces mécanismes ne tiennent pas compte du fait central : ce sont, dans ce système patriarcal les hommes qui ont l’avantage dans le domaine professionnel, sur le marché du travail etc...Avancer que les femmes bénéficient plus des bénéfices de la compensation sous-entend qu’on créé une nouvelle injustice ...pour les hommes !
Il s’avère nécessaire de voir en montant à qui profitent les mécanismes de redistribution, et de les réajuster...sans réduire évidemment les enveloppes allouées !
Petites pensions
Les données figurant dans le document sont éloquentes et révèlent bien la situation inacceptable.
On peut en ajouter une autre: le taux de pauvreté des femmes retraitées est supérieur à celui des hommes : 10,4 % contre 8,5 % et cet écart a tendance à se creuser depuis 20124. Et l’insuffisante revalorisation des pensions est une pénalisation supplémentaire des femmes qui vivent plus longtemps à la retraite avec de faibles prestations.
Sur les réflexions :
Sur les petites pensions et retraite minimale
Le minimum de pension à 85 % du Smic pour une carrière complète figurait déjà dans la loi de 2004.et n’a pas été appliqué.
Le rapport parlementaire Turquois-Causse dénombre 5,7 millions de personnes (tous régimes confondus) percevant une pension brute inférieure à 1 000 € soit 37 % des retraité·es dont près des ¾ sont des femmes. Mais parmi ces 5,7 millions personnes, seules 1,8 million d’entre elles ont une carrière complète ou quasi complète, ce qui maintient un très grand nombre de retraité·es dans la pauvreté. En clair une retraite mensuelle de 1 100€ ce n'est ni pour tout le monde et notamment pas pour les femmes ni pour demain!
En outre il y a un problème de cohérence : que signifie la promesse de percevoir 1 100 € pour une carrière complète quand l’ASPA (ex minimum vieillesse) est à 953€ pour une personne seule et que le seuil de pauvreté en France se situe à 1128 €.
Le document préconise : « à court terme, revaloriser les minima de pension pour assurer une pension digne à celles et ceux qui partiront en retraite avec une carrière complète ».
- Il faudrait a minima un engagement précis sur les revalorisations et sur la date à laquelle les 85 % du Smic net seraient assurés (et ils représentent aujourd’hui, non pas 1100 € mais 1130 €) .
- Solidaires demande l'intégration des retraites complémentaires dans les régimes de base de retraite(ce qui permet d’éviter un dispositif de pension minimale pour les régimes complémentaires, qui sans cela s’avererait nécessaire).
- Du fait des carrières incomplètes des femmes (même si l’attribution des trimestres supplémentaires et de l’AVFP améliorent les choses), ce serait un progrès de considérer que l’attribution du minimum de pension les concerne de la même façon que les carrières à temps plein, compte tenu du fait que le temps partiel est souvent subi ou bien souvent « choisi sous contrainte » par manque de solutions disponibles pour la garde d’enfants.
Sur l’égalité femmes-hommes et autres dispositifs de solidarité :
Solidaires porte des revendications globales pour les retraites qui auraient un fort impact positif sur l’égalité femmes/hommes pour les retraites et de mesures plus spécifiques :
→ Mesures globales :
- Revoir le calcul de la pension
Le calcul actuel de la pension au régime général, prenant en compte les salaires et la durée de carrières, discrimine les carrières courtes. Prendre comme salaire de référence la moyenne des 25 meilleurs salaires, c’est-à-dire un même nombre d’années qu’il s’agisse d’une carrière complète ou d’une carrière plus courte, est pénalisant pour les carrières courtes : cette méthode en effet ne permet d’éliminer qu’une proportion beaucoup plus faible de « mauvaises années » pour les carrières courtes.
Solidaires revendique qu’on prenne en compte les 10 meilleures années, ou le dernier indice pour les fonctionnaires et régimes spéciaux
Pour nous, il n’y a pas de retraite en dessous du SMIC porté à 1 700 €.
- Supprimer la décote
La décote constitue une double pénalisation des carrières courtes, comme l’avait d’ailleurs reconnu JP. Delevoye, Haut commissaire à la réforme en 2019. Elle concerne 9 % de femmes et 7 % d’hommes, et elle oblige de nombreuses personnes, surtout des femmes, à attendre 67 ans, âge du taux plein, pour liquider leur retraite sans décote.
→ Mesures ciblées sur l’égalité
Solidaires ré-insiste sur la nécessité de renforcer les droits directs à pension :
- C’est réduire les inégalités sur le marché du travail et permettre l’accès de toutes et tous à un emploi qualifié.
On constate un taux d’activité des femmes inférieur de 8 points à celui des hommes dans la tranche de 25 à 54 ans (84 % contre 92 %) et la France est loin derrière les autres pays de l’OCDE, au 20ème rang sur 38 pays. Le poids de la garde des enfants est un facteur déterminant (on y revient ci-dessous). Or pour donner une idée du potentiel lié à l’emploi des femmes, si leur taux d’activité entre 25 et 54 ans avait été égal à celui des hommes en 2021, c’est 1,1 million de femmes de plus qui seraient en activité. Pour les seniors, le potentiel est bien moindre…
- il est temps de mettre enfin« en chantier » la revalorisation des métiers les plus féminisés portée plus particulièrement encore depuis le covid : ceci aurait un réel impact sur les pensions des femmes les plus précaires, et au-delà d’une mesure de justice sociale et féministe, aurait un impact conséquent sur le niveau de pension des femmes.
- les mécanismes scrutés par l’Index excluent les causes structurelles profondes des inégalités salariales...il faut une volonté d’une autre ampleur pour s’attaquer aux inégalités salariales femmes/hommes et mettre en débat les métiers « à valeur égale » pour avancer sur la nécessaire revalorisation de leur rémunération
Solidaires revendique une sur-cotisation retraites pour financer l’égalité des femmes et des hommes au départ à la retraite, payée par les entreprises qui maintiennent des inégalités salariales hommes-femmes.
- L’accès au marché du travail est également centrale : ceci suppose qu’ un dispositif et un budget pour des crèches collectives soit enfin alloué à la hauteur de la demande réelle.
- Il est indispensable de développer les services d’accueil de la petite enfance. Crèches particulièrement, car c’est cet accueil collectif qui favorise le développement des capacités de l’enfant. Mais il faut veiller à en permettre l’accès aux familles modestes, ce qui n’est pas le cas actuellement.
Même si la situation en France est meilleure que dans les pays voisins, la moitié des moins de trois ans, soit un million d’enfants, ne trouve toujours pas de place d’accueil. La promesse récente d’Elisabeth Borne de créer 200 000 places de crèches est donc loin de répondre aux besoins ! De plus, les promesses des années passées n’ont jamais été tenues. Satisfaire ces besoins permettrait la création de nombreux emplois utiles qui cotiseront, et enclencherait un cercle vertueux.
- mettre en place des congés familiaux vraiment partagés et mieux rémunérés :
Ils sont actuellement mal conçus et dissuadent les pères de prendre leur part dans l’éducation des tout petits. Il faudrait :
- repenser le congé parental : il devrait être obligatoirement partagé entre les deux parents et rémunéré en proportion du salaire antérieur, au même titre que ce qui existe pour les autres assurances sociales. Ce serait une façon d’encourager les hommes à le prendre et de garantir l’autonomie des femmes qui y ont recours par rapport à leur conjoint.
Le financement de ce congé parental pourrait être assuré par l’intermédiaire d’une cotisation de l’employeur dans la logique de la continuité du salaire, comme c’est le cas pour l’assurance chômage par exemple. Ce serait aussi un moyen direct et concret, de rendre effective l’obligation pour les entreprises de négocier sur l’articulation vie professionnelle/vie personnelle pour les salarié.es, dans le cadre de la négociation annuelle sur « l’égalité professionnelles femmes/hommes et la qualité de vie au travail ».
- engager une réflexion pour rendre obligatoire le congé paternité et aligner sa durée sur celle du congé maternité et le rémunérer à 100 % (c'est le cas en Espagne).
- la nécessité de mettre en place des politiques de prévention des risques professionnels des métiers occupés par des femmes pour réduie à défaut les risques d'accidents ou de maladie pouvant porter atteinte à leur intégrité physique et psychique.
- sur les droits familiaux, conjugaux de retraite :
- La majoration de pension pour 3 enfants et plus :
Son objectif nataliste semble la rendre obsolète. Elle représente un montant non négligeable de 8 milliards qui en réalité contribue à augmenter l’inégalité de pension entre les femmes et les hommes. Seul un mécanisme progressif de réorientation des fonds serait acceptable
- Les majorations pour enfants :
Leur objectif doit être de compenser les inégalités induites par la prise en charge des enfants assumée surtout par les mères, en attendant que cette inégalité de prise en charge soit neutralisée par la progression de l’égalité femmes-hommes dans la vie professionnelle et personnelle. Une réflexion vers leur unification (la fondre avec la majo 3enfants et plus), forfaitisation (majoration de pension) pourrait être engagée.
Concernant les droits familiaux, il semble que le gouvernement étudie la possibilité d’un transfert de trimestres entre membres d’un couple. Concrètement, que l’homme puisse céder des trimestres à sa compagne, ce qui est conçu comme une compensation pour la prise en charge des enfants dans un couple, c’est une manière hypocrite de penser réduire les inégalités. Elle revient en quelque sorte à se décharger sur le conjoint de la responsabilité de compenser les inégalités de pension liées aux enfants. Prendre à l’un pour gratifier l’autre !
→ Pension de réversion
Elles représentent un montant non négligeable de 34 milliards, régulièrement sur la sellette… mais ce sont elles qui permettent aujourd’hui de réduire sensiblement les inégalités globales de pension entre femmes et hommes.
Les différents régimes de retraite ont des modalités différentes (âge, montant de la pension, conditions de ressources, etc.).
Pour rappel, lors du précédent projet en 2019, un nouveau calcul pour la pension de réversion avait été proposé, sur le principe suivant : la personne survivante devrait pourvoir conserver 70 % des droits à pension du couple. On avait montré5 que ce calcul aboutissait à des baisses de pension sensibles pour des personnes qui disposent pourtant de faibles revenus.
Pour Solidaires : on reconnaît le fait que ces mécanismes restent indispensables pour réduire les situations d’inégalités. Toutefois, il nous semblerait bénéfique d’entamer de vraies réflexions sur une meilleure prise en charge des inégalités salariales en amont, plutôt de privilégier indirectement des mécanismes mettant les femmes dépendantes du revenu du conjoint. Toute modification demanderait des projections des effets que cela aurait. Nous avions demandé que les pensions de réversions soient attribuées à l’ensemble des couples et pas seulement des personnes mariées, lors des concertations de 2019. En outre nous avions affirmé que les pensions de réversion pouvaient se justifier au titre du maintien du niveau de vie des personnes qui se retrouvent seules après le décès de l'autre, tant que le système n'assure pas la possibilité d'une vie décente à la retraite.
- Cette intervention s’appuie largement sur les données et réflexions de Christiane Marty (ATTAC, Fondation Copernic https://france.attac.org/se-mobiliser/reforme-des-retraites/article/retraites-saison-2022. On remercie également Michèle Rault de la commission Protection sociale de Solidaires.
2Tableau 4-4, page 232 du rapport 2022 du COR. Sauf indication contraire, les données numériques sont issues de ce rapport.
3Page 217 du rapport COR 2022.
4Page 200.
5Voir Réforme Delevoye, un projet régressif, C. Marty, https://france.attac.org/se-mobiliser/reforme-des-retraites/article/reforme-delevoye-un-projet-regressif