Les Utopiques est une publication Solidaires mais ouverte aux mouvements sociaux, à des camarades d’autres organisations syndicales, à des militants et militantes d’autres pays. Ce sont des Cahiers de réflexions qui couvrent l’ensemble du champ syndical. C'est un espace autonome de réflexions, avec des textes très majoritairement rédigés par des syndicalistes. Un outil de réflexion individuelle et collective, des articles qui permettent de prendre du recul vis-à-vis de l’actualité militante mais qui nourrissent celle-ci.
En cette période de lutte contre le projet de réforme des retraites, nous partageons un extrait de la lutte victorieuse de 2006 contre le CPE.
Printemps 2006 : un mouvement social fort, entrainé par les étudiant∙es et les lycéen∙nes, obtient la suppression du Contrat première embauche, alors même que la loi le créant avait été voté et promulgué. C’est un coût d’arrêt à la spirale de la précarisation ; c’est une victoire de « la rue », contre « la loi ». Avec Universités sous tension, retours sur cette lutte.
(…) En rompant avec l’image qui voudrait que la jeunesse se soit « dépolitisée », l’invasion du champ politique en 2006 marque un moment important dans l’histoire récente des mouvements sociaux. Cet épisode amène certain·es à proposer l’idée qu’une « génération CPE » ferait soudainement son entrée dans la vie sociale et politique. Ce thème suggère que toute la génération aurait des intérêts communs. Or, cette idée s’effondre en moins d’un an, puisque dès 2007 les promoteurs de la thématique « générationnelle » prendront la défense de la loi LRU, pendant que la plupart des mobilisé·es de 2006 reprendront la lutte. D’autre part, en restreignant cette génération au CPE, on la transforme en phénomène purement français. Or, l’idée que la jeunesse serait dans l’incapacité de développer des résistances collectives face à la précarisation de ses conditions de vie ou d’études n’est pas une idée strictement française. De fait, quelques mois après les récentes mobilisations étudiantes en Grande Bretagne, une syndicaliste étudiante écrivait que « la norme postulée était que les étudiant·es étaient apathiques. Les étudiant·es étaient tout simplement supposés rester indifférent·es à leur propre éducation ». En Californie, des universitaires mobilisé·es effectuent le même constat : « Nous étions affligés du vague désir de voir quelque chose se produire – sans jamais imaginer que nous pouvions le faire advenir par nous-mêmes ». Au travers de l’ensemble de ces mobilisations étudiantes, c’est « la renaissance d’un mouvement qui est célébrée ». [15] Il s’agit donc bien plutôt de la poursuite d’aspirations anciennes (dignité, justice sociale, égalité dans l’accès à l’éducation), mais à travers une mise en mouvement collective, avec toute sa portée subversive et politique et non de l’essor d’une génération qui s’affirmerait pour elle-même.
Le mouvement de 2006 représente finalement une nouvelle vague sociale, qui remet au goût du jour des pratiques déjà expérimentées, tout en cherchant constamment à les adapter à l’évolution de la société contemporaine. Certains sociologues ont affirmé que le printemps 2006 avait permis « un regain de légitimité de la forme syndicale chez les étudiants » [16] , pendant que d’autres voient dans cette lutte « une occasion extrêmement importante pour contribuer au renouveau du syndicalisme et de la politique ». [17] Ces hypothèses ont été vérifiées, puisque le mouvement syndical étudiant s’est trouvé renouvelé par cette mobilisation. En termes quantitatifs, une fédération comme Sud-Étudiant connaît la création d’une dizaine de sections locales dans les mois qui suivent la lutte contre le CPE. En termes qualitatifs, on assiste en juin 2007 à un congrès d’un syndicat étudiant (Sud) qui s’étendra sur cinq jours – fait sans précédent depuis 1968. Les discussions entre les syndicalistes étudiants de lutte (Sud, FSE, associations para-syndicales locales, syndicats bretons, corses, catalans et basques) se font plus fréquentes, permettant notamment la construction d’une mobilisation contre la loi LRU, contre la volonté de l’UNEF. Ces discussions traduisent la volonté de construire une organisation syndicale étudiante de lutte, unifiée et – enfin – émancipée de la mythologie nationaliste qui permet encore aujourd’hui à l’UNEF d’être une force hégémonique dans le milieu universitaire français. De fait, ces discussions entre organisations de lutte se déroulent de manière plus aisées que par le passé, dans la mesure où elles s’ancrent dans des pratiques de lutte communes. Le regain du syndicalisme étudiant de lutte est amplement dû à sa volonté de promouvoir des formes d’auto-organisation et de démocratie radicale au cours de la lutte. En observant les assemblées générales au cours de la lutte, Évelyne Perrin les voyait d’abord comme « un formidable bouillonnement sans hiérarchie et rejetant la mainmise des organisations syndicales ou des partis politiques », avant de noter que « la méfiance s’est peu à peu estompée ». Le succès de l’auto-organisation au cours de la lutte contre la LEC [18] , puis contre la LRU en 2007, permettent d’affirmer que les syndicalistes autogestionnaires ont marqué des points dans la recomposition idéologique du paysage militant. Ces acquis sont d’ores et déjà perceptibles dans les organisations étudiantes, malgré la forte rotation des militant·es, car les étudiant·es devenu·es salarié·es conservent une mémoire des pratiques expérimentées au cours de la lutte du printemps 2006.
Finalement, ce qu’il faut retenir du « moment » 2006, c’est bien l’idée qu’il a été pour nombre de lycéen·nes et d’étudiant·es « fondateur de la conscience de la nécessité d’une alternative globale contre le système dominant ». La révolte des quartiers populaires en 2005 et les mouvements lycéen·nes ou étudiant·es des années 2000 sont les symptômes d’un refus de subir les situations d’exploitation et les rapports de pouvoirs qui traversent la société française.
[15] « We felt liberated », Clare Solomon, Springtime. The New Student Rebellions, op. cit., p. 13.
[16] « Les étudiants, le syndicalisme et le mouvement social », Bertrand Geay, Critique communiste, novembre 2006, p. 35.
[17] « Jeunesse étudiante, précarité et mobilisation anti-CPE », Robi Morder, idem, p. 21.
[18] Loi pour l égalité des chances, qui contenait notamment l’instauration du Contrat premier embauche (CPE).
[19] « Jeunesse étudiante, précarité et mobilisation anti-CPE », Robi Morder, idem, p. 32.
[20] Brochure « Emploi des jeunes », Sud-Étudiant/Solidaires, mai 2011. [15] « We felt liberated », Clare Solomon, Springtime. The New Student Rebellions, op. cit., p. 13.