A l’occasion du numéro de d’été, qui n’est pas paru pour cause de situation politique catastrophique, nous avions prévu un article de la sociologue Maud Simonet sur l’enjeu du volontariat pour le droit du travail pendant les JOP 2024, que nous publions désormais, assorti d’un petit bilan des jeux.
Si la presse ne tarit pas d’éloges sur ces JOP, elle a passé dans sa majorité complètement sous silence les divers éléments ressortis. Ainsi, La dépêche nous apprend que certains bénévoles ont été remerciés du jour au lendemain sans même être prévenus de vive voix (alors qu’ils avaient loué un appartement pour 15 jours à Paris). Les gilets violets de la RATP, en charge de l’accueil, ont, pour certains, dénoncé des conditions inhumaines: interdiction de s’asseoir ou de faire des pauses toilettes. Des salarié·es du COJO comptent de leur côté aller aux prud’hommes pour abus de l’utilisation du forfait-jour, les heures et les plannings imposés ne correspondant en rien à ce système spécifique aux cadres.
Cette absence de respect du droit du travail s’inscrit dans la conception générale des JOP. En effet, la période est venue confirmer nos craintes concernant le caractère d’exceptionnalité – normalité que le gouvernement a voulu donner à un tel événement.
Emmanuel Macron s’est permis de ne pas nommer un nouveau gouvernement le temps des Jeux. Il a osé déclarer après que les Jeux devaient devenir la norme en France, qu’ils prouvaient le caractère du pays à faire front commun, entendre à s’asseoir sur le droit du travail ou l’accompagnement des personnes précaires, expulsées par centaines vers d’autres départements.
La période a aussi montré ce qui signifiait la privatisation d’espaces entiers du territoires, dédiés aux seuls spectateurs des JOP quand les habitants profitaient surtout des fourgons de police et des hélicoptères.
Autant se le dire, tout le monde n’a pas eu l’occasion de rigoler.
Solidaires 93
Quand le volontariat sert à s’attaquer au droit du travail!
Depuis l’été 2023 la campagne de recrutement des 45 000 bénévoles pour les Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris suscite de vives réactions des organisations écologistes, syndicalistes et politiques.
Alors que cette édition de l’événement Olympique était censée être la première à mettre le travail1 au cœur des Jeux, du fait notamment de la signature d’une charte sociale par les grandes centrales syndicales, les modalités de recours au bénévolat lors des JOP interrogent: de quel traitement du travail parle-t-on exactement ?
Car la nouveauté des JOP de Paris 2024 c’est justement d’avoir produit une charte du volontariat qui vient cadrer et normaliser le recours à ce travail bénévole… bien en deçà du droit du travail français. La doctrine juridique fait notamment du lien de subordination un élément central de la qualification juridique d’une relation d’emploi et donc d’un contrat de travail.
Or, en ouvrant la charte du volontariat publiée par le Comité des jeux olympiques on ne peut que remarquer les multiples indices de subordination qui parsèment le texte, depuis la définition des obligations du «volontaire » jusqu’aux multiples fiches de postes décrivant leurs «missions ».
On apprend ainsi que certains bénévoles travailleront à enregistrer les performances des sportifs « sous la supervision des équipes d’Oméga», entreprise Suisse du secteur du luxe, chronométreur officiel des Jeux olympiques.
Ou encore que des bénévoles qui ne respecteraient pas l’un des principes de la charte pourraient se voir retirer leur accréditation.
Directives, contrôle et sanctions, autant d’éléments au cœur de la définition de la relation de subordination, apparaissent ainsi explicitement dans la présentation du travail attendu des bénévoles. Mieux, ces éléments, pour le moins paradoxaux au regard de la jurisprudence, sont à nouveau réitérés dans le «Guide pratique à l’usage des organisateurs de grands évènements sportifs » publié en décembre 2022 par la Direction générale du travail du ministère du Travail.
Ce coup de force aux frontières de la définition juridique du travail, porté par le COJO et en quelque sorte entériné par le Ministère, s’inscrit dans un mouvement plus profond de normalisation et d’institutionnalisation du travail gratuit : du déploiement des services civiques dans les services publics à la « contrepartie » en travail désormais exigibles aux allocataires du RSA, en passant par les multiples dispositifs qui incitent à valoriser l’engagement citoyen sur le marché du travail - dispositifs auxquels les JO et leurs « certificats de volontariat » ne dérogent pas.
Maud Simonet
1 Maud Simonet, L’imposture du travail-Désandrocentrer le travail pour l’émanciper, 10/18, 2024, pp 53-60.