Une centaine d’années de dictatures
Entre 1925 et 1979, le pouvoir a été exercé par la dynastie royale Pahlavi, étroitement liée à l’Empire britannique puis aux États-Unis. Le dernier monarque a fait exécuter environ 500 prisonniers politiques. Des dizaines de milliers d’autres ont été massacré.es par l’armée pendant les répressions des soulèvements des peuples kurde et azéri. La population était terrorisée par police politique (Savak) mise en place avec l’aide active de la CIA.
Contrairement à ce que veulent faire croire les royalistes aujourd’hui, «nombre des lois misogynes actuellement en vigueur en Iran faisaient également partie du système juridique du Chah».
Celui-ci tenait des propos insultants contre les femmes et était un prédateur sexuel accompli1. De gigantesques mobilisations étudiantes, puis une grève générale de quatre mois impliquant notamment 4 millions de salarié.es ont débouché sur l’insurrection anti-monarchiste de février 1979.
Des comités de grève ont surgi partout, ainsi que des comités contrôlant la plupart des quartiers urbains. Mais le clergé chiite étant la seule force d’opposition disposant de structures d’envergure, il les a utilisées pour s’emparer de la totalité du pouvoir avec à sa tête l’Ayatollah Khomeini, et éliminer toute opposition, notamment celles se réclamant du mouvement ouvrier.
Le régime islamiste a emprisonné, torturé, exécuté ou contraint à l’exil les principaux/pales.e militant.es de la révolution de 1979. Entre 1979 et 1989, plus de 40000 prisonnier.es politiques ont été exécuté.es. Une telle violence s’explique par la volonté d’éradiquer toute trace des mobilisations populaires lors de la révolution. Un grand nombre de militant.es sont par ailleurs mort.es entre 1980 et 1988 lors de la guerre déclenchée par l’Irak de Sadam Hussein, soutenue à l’époque par les EtatsUnis. Cette guerre se serait traduite du côté iranien par environ un million de morts.
Depuis le «printemps arabe» de 2011, l’Iran s’est impliqué dans les conflits en Irak, au Yémen, au Liban, et en Palestine, se rapprochant parfois des positions russes, et s’opposant clairement aux coalitions occidentales. En Syrie, l’Iran s’est engagée économiquement et militairement aux côtés de la dictature de Bachar-el Assad.
Un régime théocratique ayant tous les traits d’une dictature
Il cumule en effet concentration des pouvoirs dans les mains du clergé, absence de libertés civiques, répression systématique et brutale de l’opposition. Depuis le 16 septembre 2022, aucune personne de bonne foi ne peut prétendre ignorer que ce régime a systématisé l’op- 3 pression des femmes, les discriminations envers les minorités culturelles ou religieuses (recoupant celles liées aux appartenances ethniques), la condamnation à mort des homosexuel.les, le refus des droits humains, l’absence de libertés politiques, syndicales et associatives, la censure, la répression des libertés artistiques et intellectuelles, une politique d’occupation militaire des régions peuplées par les minorités nationales.
Plusieurs factions du régime se sont périodiquement affrontées, et le pays a connu des périodes plus ou moins «libérales ». Mais aujourd’hui, l’immense majorité de la population rejette en bloc le régime et ses différents clans.
Une classe ouvrière surexploitée
Le régime islamiste n’a autorisé pour représenter les travailleurs/ euses que des associations islamiques contrôlées localement par les mosquées ou des groupes paramilitaires. Loin d’être le porte-parole des déshérité.es, le pouvoir du clergé chiite a activement participé à un accroissement des inégalités sociales.
Aucune législation sociale ne s’applique dans les entreprises de moins de 20 personnes, qui emploient plus de 80 % de la force de travail, dont une majorité de femmes. Les patrons y sont exemptés de toute obligation de fournir une couverture sociale ou de justifier un licenciement. Des dizaines de milliers d’ouvrier.es attendent le paiement de leurs salaires pendant des mois. Une amélioration de certaines conditions sociales a néanmoins eu lieu (accès à l’éducation et aux soins de santé pour tous et toutes).
Pour protester contre le programme nucléaire iranien, un blocus économique a été mis en place par les pays occidentaux en 2006. L’un de ses principaux résultats a été l’aggravation de la misère de la grande majorité de la population, et l’enrichissement de personnes liées au pouvoir qui organisent le contournement partiel du blocus. Elles exploitent pour cela des personnes vivant dans une grande précarité économique. Les kolbars des régions kurdes de l’ouest et les soukhtbars du Sistan-et-Balouchistan transportent ainsi au péril de leur vie, souvent sur leur dos, les marchandises de contrebande approvisionnant notamment les étals des bazars des grandes villes.
Alors que les responsables du régime et leur entourage vivent dans l’opulence, la majorité de la population est officiellement sous le seuil de pauvreté. Jamais le fossé qui sépare les plus riches des plus pauvres n’a été si grand.
Des dizaines d’années de résistance
Dès le 8 mars 1979, des dizaines de milliers de manifestantes (ainsi que des hommes) ont manifesté contre le pouvoir islamiste, et en particulier l’obligation de porter le voile. Depuis cette époque, cette résistance des femmes n’a pas cessé. Il en a été de même des salarié.es qui ont organisé des grèves et des syndicats semi-clandestins. Quant aux minorités nationales, et en particulier les Kurdes, elles n’ont pas cessé de lutter contre leur oppression.
En décembre 2017, puis en novembre 2019, des explosions sociales d’envergure se sont produites. Contrairement à celles de 2009, ces mobilisations ne s’inscrivaient pas dans la rivalité entre des deux principales factions du régime. La croyance en la possibilité du changement par le haut était désormais révolue, et les couches pauvres et déshéritées des périphéries des grandes villes jouaient un rôle moteur dans ces manifestations.
Le soulèvement actuel s’appuie sur cette accumulation d’expériences. Dès le lendemain de la mort de Jina-Masha Amini, les régions kurdes se sont embrasées, puis la plupart des universités. Cinq mois plus tard, les manifestations continuent, même si elles rassemblent moins de monde suite à la condamnation à mort de manifestant.es et l’intervention directe de l’armée dans le Kurdistan.
Malheureusement, les grèves de salarié.es restent pour l’instant d’ampleur limitée. Mais il en avait été de même en 1978-1979 : elles n’avaient pris leur essor qu’à partir de septembre 1978, soit 14 mois après le début des mobilisations estudiantines.
Bibliographie Solidaires :
- Revue internationale (2012) https://solidaires.org/media/documents/dossier_iran.pdf
- SSTI : Cent ans de dictature (1998) http://www.iran-echo.com/echo_pdf/rapport_cent_ans.pdf
http://www.iran-echo.com/ - ROJA : https://www.facebook.com/events/1031564361135183
https://www.instagram.com/p/Cnjm-Elt_At/
https://twitter.com/roja_paris - ESSF : https://www.europe-solidaire.org/spip.php?rubrique407
https://www.europe-solidaire.org/spip.php?rubrique253
Notes 1. Yassamine Mather : « A propos de la mythologie ayant trait à la “période moderne” du Chah. Sur la question de l’unité avec la droite. Et la lutte continue» https://alencontre.org/moyenorient/iran