Situation avant 2023
La communauté est la base de l’organisation traditionnelle des peuples Mayas : ce sont des villages d’une à plusieurs centaines d’habitants et habitantes, dont l’activité principale est l’agriculture. De 1994 à 2023, des communes (ou municipalités) autonomes et rebelles zapatistes (Marez : municipio autonomo rebelde zapatista) regroupaient plusieurs communautés (à travers des délégué-es) et mettaient en commun des cliniques, des écoles et des instances de justice et de gouvernement autonomes.
En 2003, sont créés cinq centres administratifs et politiques régionaux, les caracoles1 (La Realidad, Oventik, La Garrucha, Morelia et Roberto Barrios) qui correspondaient aux cinq régions du territoire zapatiste. Les « Conseils de bon gouvernement » étaient chargés de l’administration, de la justice et des relations extérieures de l’organisation civile. En 2019, une réorganisation est annoncée avec la création de 12 caracoles. En 2023, les Conseils de Bon Gouvernement sont dissous.
Les communiqués de 2023
Les Zapatistes, par la voix du Capitaine Insurgé Marcos (anciennement sous-commandant Marcos puis sous commandant Galeano) et du Sous Commandant Insurgé Moisés ont publié depuis le mois d’octobre 2023 une série de communiqués, les liens sont publiés sur le site de Solidaires : https://solidaires.org/sinformer-et-agir/actualites-et-mobilisations/internationales/serie-de-communiques-des-zapatistes-mexique/
Ces communiqués abordent plusieurs thématiques :
- la situation géopolitique internationale : guerres, Palestine, capitalisme mondial ;
- la situation politique mexicaine : cartels, disparu·es, violences, répression… ;
- les luttes, la résistance des peuples autochtones ;
- la nécessité de s’organiser partout malgré la répression ;
- leur vision d’un monde plus juste où les enfants n’auront pas peur (dans 120 ans) ;
- la solidarité internationale ;
- la préparation d’un événement pour les 30 ans du soulèvement zapatiste (1er janvier 1994) et les 40 ans de l’Armée Zapatiste de Libération nationale (17 novembre 1983) ;
- la réorganisation interne zapatiste (voir ci-après).
Les Conseils de Bon Gouvernements (Juntas de Buen Gobierno) et les Municipalités Autonomes Rebelles Zapatistes (MAREZ) disparaissent pour laisser place aux Gouvernements Autonomes Locaux (GAL), aux Collectifs de Gouvernements Autonomes Zapatistes (CGAZ, les régions), et aux Assemblées de Collectifs de Gouvernements Autonomes Zapatistes (ACGAZ, les zones).
Situation Actuelle/Nouvelle Organisation
Dans le passé, lorsqu’un problème ne pouvait être résolu par la communauté elle-même, celle-ci devait consulter la MAREZ puis, si nécessaire, le Conseil de Bon Gouvernement qui était le dernier recours. Cela n’était pas suffisamment efficace dans des situations urgentes. Avec la nouvelle organisation, chaque communauté disposera d’un gouvernement local et pourra décider rapidement et plus démocratiquement comment agir dans différentes situations. Les GALS seront autonomes dans tous leurs affaires, y compris dans leurs relations avec les voisin-es non zapatistes.
Actuellement il y a des milliers de GALS. Lorsque les GALS décident qu’ils doivent se réunir pour discuter de certaines questions et éventuellement prendre des décisions, ils convoquent les CGAZ. Enfin, ce sont les assemblées de l’AGAZ (zones) qui convoquent et assurent les dites réunions quand les GALS ou les CGAZ le sollicitent, mais elles ne sont pas des autorités. Elles sont mobiles en fonction des besoins régionaux.
Cette nouvelle organisation semble être le résultat de deux facteurs principaux :
- L’organisation précédente n’était pas assez efficace pour des questions principalement d’éloignement des prises de décisions. Cela est d’autant plus vrai avec l’accentuation de la présence militaire, de la répression et des conflits liés au narcotrafic dans la région. Cette organisation plus horizontale et locale, leur permettra de mieux se défendre comme le communiqué le dit clairement : « La structure et la configuration de l’EZLN ont été réorganisées de manière à accroître la défense et la sécurité des localités et de la terre mère en cas d’agressions, d’attaques, d’épidémies, d’invasion par des entreprises prédatrices de la nature, d’occupations militaires partielles ou totales, de catastrophes naturelles et de guerres nucléaires. Nous nous sommes préparés pour que nos pueblos survivent, même isolés les uns des autres. »
- Les Zapatistes ont décidé d’inverser la pyramide de sorte que la base est aux commandes. Les GALS sont de petites structures locales qui leur donneront plus d’autonomie pour l’autogestion.
La fête : théâtre, spectacles, discours
Les Zapatistes ont publié en décembre 2023 un communiqué intitulé : Invitation au trentième anniversaire du début de la guerre contre l’oubli. Il commence avec ces mots :
« Les communautés zapatistes et l’EZLN invitent à la célébration du 30e anniversaire du début de la guerre contre l’oubli toutes les personnes, groupes, collectifs, associations, organisations et mouvements signataires de la dénommée Déclaration pour la Vie, les peuples originaires regroupés au sein du Congrès National Indigène, la Sexta mondiale, les organisations non gouvernementales de défense des droits humains et, spécialement celles et ceux qui ont la création artistique comme destin. »
Le travail commun
Les thèmes centraux de la célébration étaient le bien commun et la collectivité. C’est-à-dire la non-propriété de la terre (voir 20e communiqué : https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2024/01/08/vingtieme-et-derniere-partie-le-commun-et-la-non-propriete/)
Extrait : « Le travail commun commence, maintenant, par la possession de la terre. Une partie des terres récupérées est déclarée pour “le travail commun”. C’est-à-dire qu’elle n’est pas morcelée et qu’elle n’est la propriété de personne, qu’elle n’est ni petite, ni moyenne, ni grande propriété. Cette terre n’est à personne, elle n’a pas de propriétaire. Et, en accord avec les communautés proches, on se “prête” mutuellement cette terre pour la travailler. On ne peut ni la vendre, ni l’acheter. On ne peut pas l’utiliser pour la production, le transfert ou la consommation de stupéfiants. Le travail se fait “à tour de rôle” en accord avec les GALs et les frères non zapatistes. Le bénéfice ou le gain revient à celles et ceux qui travaillent, mais la propriété n’en est pas une, c’est une non-propriété qu’on utilise en commun. »
La proposition semble être la suivante : le commun est le moyen de traverser la Tempête que nous vivons actuellement au niveau global, la IVe Guerre Mondiale dont ils parlent depuis longtemps et qui a différents visages : militaire, extractiviste, médiatique, épidémies, cartels, etc. (voir https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2003/02/01/cuales-son-las-caracteristicas-fundamentales-de-la-iv-guerra-mundial/).
Le théâtre, la poésie, les chansons et les banderoles ont été les formes de communication utilisées par les compas pour aborder différents sujets : de l’époque des fincas, à la crise actuelle au Mexique qui comprend : la militarisation du pays, le capitalisme, la présence des cartels, l’extractivisme, la prolifération des drogues, la traite de personnes, etc. Toutes les générations ont participé, mais surtout la jeunesse. Les nouvelles générations semblent être prêtes pour assurer la continuation du mouvement.
Le théâtre, la poésie, les chansons et les banderoles ont été les formes de communication utilisées par les compas pour aborder différents sujets : de l’époque des fincas, à la crise actuelle au Mexique qui comprend : la militarisation du pays, le capitalisme, la présence des cartels, l’extractivisme, la prolifération des drogues, la traite de personnes, etc. Toutes les générations ont participé, mais surtout la jeunesse. Les nouvelles générations semblent être prêtes pour assurer la continuation du mouvement.
Défilé et discours du 31 décembre 2023
Un défilé d’un millier d’insurgé-es et de milicien-nes a précédé le discours annoncé pour célébrer les 30 ans du soulèvement. Alternant défilé traditionnel et parenthèses festives, les Zapatistes ont démontré la force, l’originalité, la détermination et la jeunesse du mouvement.
Le discours de l’actuel porte-parole et dirigeant de l’EZLN, le sous-commandant Moisés, a d’abord été prononcé en tzeltal, puis en castillan le 31 décembre à minuit. Il a commencé par évoquer les différents groupes de la population absents en raison de l’extrême violence au Mexique, tels que les enfants assassinés, les jeunes et les adultes assassinés, les disparus, les prisonniers politiques et les mères en quête d’un enfant. Chacun de ces groupes était représenté par une couverture posée sur une chaise. À l’énoncé de ces absent-es, les jeunes miliciennes qui se trouvaient au pied de l’autel sous la scène étaient très émues, tout comme l’assemblée réunie devant la scène, entourée des milicien-es qui formaient une sorte de baie de protection.
Durant le discours, Moisés a dit « nous sommes seuls » en parlant des peuples zapatistes probablement pour affirmer que personne de l’extérieur ne leur a appris comment en arriver là où iels sont actuellement. Ce sont iels qui « marchent en posant des questions » (caminar preguntando), il n’y a pas de mode d’emploi pour réussir. « Seuls » fait aussi allusion au fait qu’une fois que toustes les visiteurs partent, iels sont seuls pour faire face à l’État, aux militaires, paramilitaires, groupes armés, cartels et d’autres formes des violences.
Les compas nous invitent à nous organiser, chacun-e dans sa propre géographie ; car chaque village, collectif, assemblée est seul à défendre son territoire et/ou sa dignité. Il nous dit de ne pas attendre de signaux des peuples zapatistes pour agir. En même temps, il rappelle aux bases de soutien zapatistes (celles et ceux qui ne sont pas de miliciens ou miliciennes) que face à la Tempête que nous vivons (guerres, changement climatique, extractivisme, déplacements forcés, etc.), iels doivent mettre en action ce qu’elles ont si bien communiqué avec leurs pièces de théâtre, leurs poèmes et leurs chansons : chaque communauté est capable de s’organiser et défendre la vie. Les discours et les formes de communication sont importants, mais ils ne suffisent pas. Ce sont les faits qui comptent. Il a ajouté que les zapatistes n’agissent pas pour qu’on se souvienne d’elles et eux ou qu’on les mette dans un musée. Ils se réorganisent pour que, d’ici à 120 ans, les enfants du futur puissent jouir d’un monde plus juste et plus pacifique, sans peur. Voir : https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2023/11/21/troisieme-partie-deni/
Comme c’est leur habitude, les peuples zapatistes ont pris le temps nécessaire (une dizaine d’années) pour décider ce changement, et en prévoyant des résultats à long terme.
Internationalisme
Les Zapatistes ont toujours donné une dimension internationale à leur combat pour la démocratie, la justice et la liberté. Après de nombreuses rencontres et événements en territoire zapatistes où de délégations nationales et internationales ont participé, les Zapatistes ont lancé en 2020 l’intiative du Voyage pour la Vie.
Voyage pour la vie
Au moment de célébrer le 27e anniversaire de leur soulèvement du 1er janvier 1994, les zapatistes du Chiapas ont rendu publique une « Déclaration pour la vie », confirmant leur intention de se rendre sur les cinq continents, à commencer par l’Europe de juin à novembre 2021. C’est l’aboutissement d’un projet commencé voici trois mois avec un texte intitulé « Une montagne en haute mer », qui a précisé l’audacieuse aventure des rebelles mayas du Sud-Est mexicain, l’Escadron 4 (femmes) 2 (hommes) 1 (transgenre). Quelques années plus tard (2023), est sorti le film « La Montagne » de Diego Osorno qui raconte la traversée de l’Escadron 4.2.1 vers l’Europe.
L’Escadron est arrivé à Vigo (Espagne) en juin 2021 avec pour mission d’écouter les luttes en bas et à gauche. Elles et ils ont sillonnés plusieurs pays (Espagne, France, Finlande, Suisse, Portugal…). En France, ils ont rencontré plus de 100 organisations. Les femmes et la personne transgenre ont participé à la rencontre des femmes à la ZAD de Notre-Dame-de-Landes en juillet 2021.
Quelques mois plus tard (en septembre 2021), la délégation « La Extemporánea » arrive à Vienne. Cette délégation est constituée d’environ 170 zapatistes (femmes, hommes, enfants zapatistes) qui ont continué les travaux en groupes de parole et d’écoute dans toute l’Europe. L’Union syndicale Solidaires, qui a fait partie du groupe d’organisation et de la logistique notamment en Île-de-France, a eu l’occasion d’organiser une rencontre interne avec une délégation (1 groupe de femmes & 1 groupe d’hommes) les 2 et 3 novembre 2021.
Les Zapatistes ont parcouru des pays tels que la Slovénie, l’Italie, le Danemark, la Pologne, l’Allemagne et les îles Wise, l’État espagnol, le Portugal… L’Asie, l’Afrique, l’Océanie et l’Amérique elle-même sont les chapitres en attente de cette histoire sans précédent. Il reste encore beaucoup à accomplir pour même achever la première partie de ce livre-rêve baptisé « Gira por la Vida ». La seule certitude est que, lorsque ce moment arrivera, la Gira por la Vida aura réussi à apporter un changement favorable dans le monde, au nom de l’autonomie, de la nature et de la vie.
À la fin du voyage pour la Vie, les zapatistes nous laissent le « devoir » de nous organiser toutes et tous ensemble pour vaincre le système capitaliste !
Un partage mondial : le voyage pour la vie.
Une proposition concrète en lien avec le voyage pour la Vie émane du 20e communiqué de la série publiée fin 2023 sur la non-propriété (https://enlacezapatista.ezln.org.mx/2024/01/08/vingtieme-et-derniere-partie-le-commun-et-la-non-propriete/) dans la dernière partie intitulée « un partage mondial : le voyage pour la Vie » :
« Quelques hectares de cette non-propriété vont être proposés aux peuples frères d’autres géographies du monde. Nous allons les inviter pour qu’ils viennent et travaillent ces terres, avec leurs propres mains et leurs propres savoirs. Que se passe-t-il s’ils ne savent pas travailler la terre ? Et bien les compañeras et compañeros zapatistes leur montreront comment faire, et les temps de la terre et comment en prendre soin. Nous croyons qu’il est important de savoir travailler la terre, c’est-à-dire de savoir la respecter. »
«Ceci est notre proposition : attribuer “au commun” une partie des terres récupérées. C’est-à-dire sans propriété. Ni privée, ni ejidal, ni communale, ni fédérale, ni étatique, ni entrepreneuriale, ni rien. Une non-propriété de la terre. Comme qui dirait “une terre sans papiers”. Alors, sur ces terres que l’on va définir, si on demande à qui est ce terrain ou qui en est le propriétaire, et bien on va répondre : “à personne”, c’est-à-dire “au commun” ».
Il est probable que des communications ultérieures expliqueront comment ce projet sera mené à bien en interne de l’organisation zapatiste comme avec les internationaux.