Contribution de l’Union syndicale Solidaires à la mission Bozio - Wasmer suite à la conférence sociale

Questions de la mission posées aux organisations syndicales et patronales :

• Considérez-vous que la politique d’allègement de cotisations employeur a eu des effets sur l’emploi salarié, au vu des travaux réalisés sur ce sujet en France ? Doit-elle se concentrer en priorité sur les bas salaires ou s’étendre comme actuellement au-delà de 1,6 fois le Smic, voire 2,5 ou 3,5 fois le Smic ?

• Quels sont selon vous les inconvénients et limites de cette politique ?

• Quel regard portez-vous sur la réforme de la fiscalité des entreprises et du capital, la loi Pacte ou encore les baisses d’impôts de production ?

• Plus généralement, quelle est votre philosophie sur le financement de la protection sociale, et sur quelles bases doit-il porter ?

Sur les exonérations/allègements des cotisations sociales et la nécessité d’une revalorisation salariale d’ampleur :

Si ces allègements de cotisations sociales procèdent de la volonté des gouvernements successifs de baisser le « coût du travail » pour favoriser la création d’emplois, le bilan de cette politique n’est guère probant.

Le rapport du Comité de suivi des aides publiques aux entreprises et engagements (rapport du Cosape « les exonérations générales de cotisations », rattaché à France Stratégie , dressait en 2017 un constat lucide : « on ne dispose à ce jour d’aucune évaluation des effets sur l’emploi de cette politique sur l’ensemble des vingt-cinq dernières années. Enfin, on sait peu de choses sur la nature des emplois créés ou sauvegardés (par sexe, âge, diplôme, catégorie socioprofessionnelle, expérience) et sur leur ventilation par secteur d’activité ou taille d’entreprise. On ignore par ailleurs si l’efficacité de la politique d’allégements s’atténue à mesure que les allégements de cotisations sociales s’amplifient ».

Ces dispositifs présentent en outre des effets pervers puisqu’ils incitent des employeurs à maintenir les salaires en dessous des seuils d’exonération, ce qui crée des trappes à bas salaires, maintient les inégalités et alimente la précarité. Précisons enfin que le coût de ces allègements (que l’on peut nommer « niches sociales ») n’a cessé de croître : il aurait quasiment doublé depuis 2013 pour atteindre 86 milliards d’euros, voire plus de 90 milliards selon la Cour des comptes.

Pour Solidaires, en s’attaquant au « coût du travail », les politiques actuelles s’approprient une plus grande part de la valeur ajoutée et appauvrissent le système de sécurité sociale pour accroître les parts de marché du secteur privé.

Nos revendications :
La priorité est de rappeler l’évidence : c’est le travail qui crée la richesse, il est donc une richesse dont la rémunération est pleinement justifiée.
La part des salaires dans la valeur ajoutée doit progresser :
- par la fin progressive des « niches sociales », en commençant par en faire leur réelle évaluation,
- par l’augmentation des cotisations sociales patronales
- par une revalorisation des salaires,
-> en priorité des plus bas salaires et les métiers les plus féminisés : la situation actuelle impose cette revalorisation d’urgence au vu de la pauvreté qui touche de plus en plus largement la population et particulièrement les travailleurs-euses précaires. Il s’agit d’inclure la dimension genrée à toutes les analyses sur ce sujet (maintien dans les trappes à bas salaires ou autres effets entre autres) : les femmes sont principalement dans des métiers peu considérés et rémunérés, et subissent le temps partiel imposé.
→ Un écart maximum des salaires et de l’ensemble des revenus doit être prévu (pour Solidaires de 1 à 5) ,

-> une augmentation du SMIC à 1700 euros net est indispensable

-> un rattrapage des pertes cumulées de pouvoir d’achat pour une augmentation immédiate de 400 euros serait une mesure d’urgence adéquate.

Pour Solidaires, les cotisations sociales (part employeur comme part salarié-e) font partie intégrante de la rémunération du travailleur/euse. S’agissant de la rémunération du travail, ces cotisations appartiennent aux salarié-es et ne doivent pas être allégées ou exonérées.

Questions de l’impact de la fiscalité :

Fiscalité des entreprises le moins d’impôt à l’œuvre

Au nom du renforcement de la compétitivité des entreprises, de l’activité et de l’attractivité de l’économie française, les gouvernements ont massivement baissé les impôts des entreprises pour un montant plus de 30 milliards d’euros sur la période 2018-2022.

Du côté des cotisations sociales les entreprises qui ont déjà obtenu une réduction massive des cotisations sociales patronales de l’ordre de 60 milliards au cours du quinquennat.

Poursuite des baisses voire suppressions des impôts en direction des entreprises

Baisse de l’Impôt sur les Sociétés : La politique fiscale française s’est alignée depuis ces derniers vers la trajectoire mondiale : les taux d’IS dans le monde sont passés de 40,11 % à 23,85% entre 1980 et 2020.

La France a vu son taux normal de l’IS évoluer à la baisse :

jusqu'en 1985 : 50 %

1986 : 33,33 %

2022 : 25 %

Des inégalités entre les différentes catégories d’entreprises : le taux implicite moyen est de 17,8 % pour les grandes entreprises contre 23,7 % pour les PME (IPP)

Les grands groupes français ont bénéficié de la baisse du taux d’IS, et ont également vu leurs profits augmenter.

Les impôts dits de production. Les arguments libéraux sont que ces taxes et cotisations (CVAE, CFE C3S…) sont déconnectées des résultats des entreprises et sont considérées comme particulièrement pénalisantes pour les entreprises car encourageant les délocalisations et les importations. Or 2/3 des recettes encaissées vont aux collectivités locales ce qui leur permet d’avoir une autonomie financière. Si l’annonce de la suppression de ces impôts locaux est dans un premier temps compensée par le budget de l’État notamment par un reversement d’une partie de la TVA (impôt proportionnel donc injuste par nature et payé par le consommateur final) elle doit à minima amener à mettre fin aux dispositifs d’allégement fiscaux liés à l’attractivité dans les territoires des entreprises comme les dispositifs d’allégements accordés aux entreprises dans certaines zones géographiques (AFR, ZRR, ZFU..) La suppression de la CVAE va essentiellement profiter aux grandes entreprises et donc profiter aux entreprises qui bénéficient de la baisse du taux d’IS, du CIR, et/ou qui pratiquent l’optimisation fiscale, parfois agressive….

Des dispositifs législatifs dérogatoires en allégement d'impôt

Une révision de ces dispositifs s’impose dans leur ensemble au regard de leur efficacité réelle et de leur coût. Ainsi les dispositifs entreprises nouvelles ou jeunes entreprises innovantes ou universitaires, allégement pour installation dans zones géographiques prédéfinies sont souvent détournés ou fraudés car peu contrôlés faute de moyens à la DGFIP.

Pour Solidaires:

  • Il faut repenser la répartition de la fiscalité entre les ménages et les entreprises, entre la fiscalité locale, nationale, entre la fiscalité directe et indirecte.

  • Il s'agit également de remettre une plus grande progressivité de l’impôt sur les revenus. Les niches fiscales doivent faire l’objet d’une évaluation pour apprécier si les objectifs à caractère économique et social sont atteints, et si ce n’est pas le cas, les supprimer. Cette réforme implique également une taxation plus équilibrée entre les revenus du travail et ceux du capital (qui doivent être plus taxés).

Cotisations et salaires/ financement de la sécurité sociale :
En ce qui concerne le second volet de votre mission, notre Union syndicale a travaillé sur des pistes d’évolution du financement de la sécurité sociale, mais devra se prononcer lors de notre prochain congrès d’avril 2024 sur un certain nombre de sujets (qui ne sont donc à ce stade que des pistes pour Solidaires) .

Par exemple, est en cours de réflexion de faire reposer le financement de la sécurité sociale sur l’ensemble des richesses produites, salaires et profits (valeur ajoutée). Avec cette nouvelle assiette, le financement entre entreprises serait plus justement réparti et ne pas reposer que sur celles ayant la masse salariale la plus importante. Cet élargissement de l’assiette intégrant l’ensemble des revenus de la population y compris ceux du capital serait pleinement justifié pour l’assurance maladie qui s’adresse à l’ensemble de la population.

La perte d’autonomie s’adressant potentiellement à l’ensemble de la population pourrait être financée par une contribution universelle assise sur tous les types de revenus en remplacement des recettes actuelles loin d’être justes et nettement insuffisantes au regard des enjeux.

Par ailleurs, comme pointé précédemment, les recettes des régimes de sécurité sociale augmenteraient d’une part avec une revalorisation de la part des salaires dans la valeur ajoutée, et de l’autre avec une amélioration des salaires (avec notamment une réelle égalité salariale entre femmes et hommes) et de la situation de l’emploi, tout particulièrement celui des femmes, et une augmentation substantielle des taux de cotisations sociales.

Ces réflexions n’ont pas pour objectif principal de trouver des recettes supplémentaires mais de réfléchir à des financements justes et solidaires pour répondre aux besoins fondamentaux dans les domaines couverts par la Sécurité sociale y compris la perte d’autonomie 5e branche de la sécurité sociale créée par la loi du 7 août 2020. Si l’on fait un rapide retour sur le passé, les assurances sociales de 1930 étaient financées par des cotisations « employés » et « employeurs » avec un plafond ; les allocations familiales créées en 1932 obligèrent les employeurs à s’affilier à des caisses de compensation agréées et à verser à leurs salariés une allocation familiale pour chaque enfant. La législation sur les accidents du travail (1898) et celle sur les maladies professionnelles (1919) sont intégrées à la sécurité sociale par une loi en 1946. L’ordonnance du 4 octobre 1945 tend à rapprocher l'ensemble des institutions de sécurité sociale et notamment des organismes d’assurances sociales, d’allocations familiales et d’assurances contre les accidents du travail et maladies professionnelles. Elle envisage également l’extension des législations de sécurité sociale, et notamment des assurances sociales, à toute la population. Cette même ordonnance va maintenir le financement basé sur des cotisations (toujours plafonnées) assises sur les salaires tantôt réparties entre employeurs et employés, tantôt assumées par les seuls employeurs comme les cotisations accidents du travail et les cotisations familiales, comme cela existait antérieurement.

L’objectif était d’alimenter la sécurité sociale par les contributions de ses bénéficiaires. Le système de sécurité sociale a connu des évolutions importantes depuis sa mise en place, il est fortement fragilisé aujourd’hui par les remises en cause dont il fait l’objet, d’où selon nous la nécessité de mener une réflexion de fond.

Un coût important pour la collectivité

Les exonérations de cotisations accordées aux entreprises représentent un coût très important pour la collectivité, car qu’elles soient compensées ou non, leur financement est de fait transféré sur d’autres acteurs économiques comme les ménages.

En outre, aucune étude n’a permis d’évaluer sérieusement l’impact de ces différents dispositifs en termes de création d’emplois. En revanche, on peut sans crainte affirmer que ces mesures ont représenté un effet d’aubaine pour certains employeurs et ont eu comme conséquence de créer des trappes à bas salaires pour les salarié·es en tirant leurs rémunérations vers le bas, sans aucune perspective d’amélioration. Des économistes expliquent même que ces « trappes à bas salaires » ont favorisé le maintien d’une industrialisation de basse technicité, laquelle est facilement concurrencée par les salaires encore plus bas des pays en voie de développement (d’où la désindustrialisation accélérée de l’économie française par rapport à d’autres pays tout autant capitalistes et financiarisés, comme l’Allemagne, et notre déficit commercial).

Ces exonérations représentent une lourde charge pour les budgets publics et participent des transferts de fonds du plus grand nombre vers les plus riches : aux réductions des prestations publiques et des prestations sociales décidées en conséquence, il faut mettre en face l’augmentation des rémunérations des capitalistes par les dividendes et l’augmentation de la valeur des actions.

L’Union syndicale Solidaires défend la mise en place d’un régime universel obligatoire qui s’adresse à l’ensemble de la population, il peut paraître plus juste et plus équitable de ne pas se limiter à un financement uniquement basé sur des cotisations assises sur le seul travail mais sur l’ensemble des revenus des particuliers. La CSG, certes imparfaite, permet cependant d’appréhender une partie des revenus issus du patrimoine (10 milliards d’euros par an) ...

Pour Solidaires : Les recettes supplémentaires peuvent découler d’augmentation des cotisations sociales salariales et patronales par la fin des exonérations faites au profit des entreprises, sans effet pour l’emploi, et par de nouvelles cotisations sur tous les revenus distribués (stock options, participation et intéressement, dividendes des actionnaires) et enfin par une taxation des revenus du patrimoine.

En conclusion:

Votre mission ne pourra servir d’enième caution de la poursuite d’une politique salariale injuste, ni d’enlever une partie seulement des exonérations à la marge sous couvert d’arguments fallacieux de compétitivité des entreprises.

Le choix d’entamer un véritable chantier en termes de fiscalité, comme de financement de la protection sociale, suppose d’arrêter de mettre le profit avant les besoins sociaux, environnementaux ou d’égalité de la population. Ceci suppose d’admettre enfin qu’un autre partage des richesses est plus qu’impératif.

La pluralité des économistes qui seront mis-es à contribution est nécessaire comme l’a rappelé d’autres organisations syndicales.

De même les idées de vouloir fusionner l’ensemble des aides sociales, de la protection sociale ne peuvent être pertinentes. On sait les risques de ce type de politique, qui sous couvert de rationalité vise encore une fois un amoindrissement des protections sociales et leur prise en charge par l’Etat ou le financement collectif.

Pour Solidaires, il faudra également requestionner les aides publiques allouées aux entreprise (spécialement les grandes entreprises) sous l’angle de l’utilité sociale, environnementale.