Tribune : Projet de loi immigration de Gérald Darmanin. Refuser la stigmatisation des immigré·es, défendre la régularisation des sans-papiers

Tribune parue dans le journal l'Humanité

Nous publions cet appel collectif de militants syndicaux, politiques et associatifs, à l'initiative des salariés grévistes de Chronopost, RSI et DPD.

Une loi discriminatoire de plus

Dans des interviews données à plusieurs médias nationaux en juillet, le ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin s’est exprimé en faveur d’une application rigoureuse de la double peine (l’expulsion qui fait suite à une condamnation pénale). Par exemple, dans Le Monde du 9 juillet : « nous voulons permettre l’expulsion de tout étranger reconnu coupable d’un acte grave par la justice, quelle que soit sa condition de présence sur le territoire national ». Il a dans le même temps annoncé une nouvelle loi sur l’immigration pour la rentrée. Il s’agit de lever les freins existants à l’application de la double peine , notamment le fait pour un·e étranger·e d’être arrivé·e en France avant l’âge de treize ans, ou le fait d’être marié·e.

M. Darmanin alimente ainsi, à nouveau, l’amalgame entre immigration et délinquance, cher à l’extrême droite et à la droite la plus dure. Outre le fait qu’il s’agisse, encore une fois, de cibler les immigré·es dans une situation où la crise sociale s’approfondit, ce projet de loi est aussi une réponse à la situation politique issue des dernières élections législatives. Le gouvernement, ne disposant pas de majorité absolue à l’Assemblée nationale, essaie de la constituer en s’attirant les faveurs des député·es siégeant à sa droite.

M. Darmanin a également déclaré qu’il faisait le distinguo entre les « délinquants » et les travailleur·euses immigré·es respectant « les lois de la république », et qu’il priorisait l’expulsion des premiers. Son projet de loi s’attaque pourtant à toute personne sans-papiers. Il est en effet prévu que la validité des OQTF (obligation de quitter le territoire français) passe de un à trois ans. La nouvelle loi empêchera donc les personnes s’étant vues opposer un refus à leur demande de régularisation de déposer un nouveau dossier pendant trois ans. Parallèlement, il projette d’augmenter le nombre de places dans les centres de rétention administrative.

L’État et les employeurs contre les travailleur · euses sans-papiers

Au-delà des déclarations de M. Darmanin, l’État pratique un double jeu concernant les 6 à 700 0000 personnes sans-papiers qui travaillent en France. Le 1 er novembre 2021, sur Europe 1, M. Darmanin avait dénoncé le rôle des entreprises dans l’exploitation des travailleuses et travailleurs sans-papiers : « C’est aussi de la faute de certains capitalistes d’utiliser la mis è re humaine ». Et pourtant, l’État français est lui-même bien loin d’être exemplaire.

Dans le BTP, la surexploitation des sans-papiers s’effectue au bout d’une cascade de sous-traitances, permise par l’État et qui dissimule la responsabilité des entreprises donneuses d’ordre. Dans la Logistique, il montre lui-même l’exemple. Dans des filiales de La Poste, entreprise dont il est encore un actionnaire stratégique, des milliers d’intérimaires sans-papiers trient les colis dans des conditions inhumaines. C’est ce qui fait que le ministère de l’Intérieur est confronté à une révolte des travailleurs sans-papiers de ces secteurs depuis plusieurs mois.

Depuis l’automne 2021, trois grèves de travailleurs sans-papiers se sont successivement déclenchées. Ces derniers ont formé des piquets devant leurs entreprises : RSI, une société d’intérim spécialisée dans le BTP et basée à Gennevilliers (92), DPD, filiale de La Poste pour le colis, au Coudray-Montceaux (91) et Chronopost, autre filiale colis de La Poste, à Alfortville (94). Ils réclament leur régularisation auprès des préfectures. Celles-ci refusent aujourd’hui de régulariser les grévistes alors que, par exemple, 83 grévistes de RSI se sont vus délivrer les documents de régularisation par leur employeur (contrairement à La Poste), et qu’un rapport de l’inspection du Travail a confirmé la présence de plus de 60 grévistes sur le site de DPD dans l’Essonne, prouvant ainsi la relation de travail entre ces travailleurs et la filiale de La Poste. Les ministères de l’Intérieur et du Travail ont depuis été interpellés, là aussi sans succès.

Plus de soixante manifestations devant les préfectures, les ministères et les entreprises n’ont pas modifié la position des autorités. Le ministère de l’Intérieur n’aime pas les travailleurs en lutte. Il les combat avec acharnement.

Les victimes de cette énième loi sur l’immigration (ces lois qui se succèdent sans discontinuer depuis 1973) seront une fois de plus les mêmes : les personnes parmi les plus opprimées et les plus exploitées de la population. Les bénéficiaires sont aussi connus, ce sont les partis politiques prospérant sur un racisme qui ne cesse de se développer, ainsi que le patronat. Les lois régissant le séjour des étranger·es en France et les régularisations au compte-goutte alimentent un véritable marché du travail parallèle pour les personnes sans-papiers, le plus souvent cantonnées aux travaux les plus pénibles.

Le 3 août, M. Darmanin annonçait le report sine die de son projet de loi, mais il ne fait aucun doute que le gouvernement veut mener à bien son objectif. Le « grand débat » parlementaire qui se tiendra en octobre est organisé en ce sens.

Ce projet de loi doit être combattu et défait. Les liens sont évidents entre cette bataille et les luttes des sans-papiers. La grève des travailleurs de RSI, DPD et Chronopost doit être victorieuse. Au lieu d’une loi discriminante de plus, il y a urgence à régulariser.

REGUL sticker

Signataires :

Mahamadou Toure (délégué des grévistes RSI)

Elhadji Dioum (délégué des grévistes DPD)

Aboubacar Dembele (délégué des grévistes Chronopost)

Fatiha Aggoune (présidente du groupe Val-de-Marne en commun du Conseil départemental du Val-de-Marne)

Tewfik Allal (Agir pour le changement et la démocratie en Algérie)

Jean-Claude Amara (co-fondateur de Droit Au Logement et porte parole de Droits devant !!)

Farida Amrani (députée France insoumise/Nupes de l’Essonne)

Nathalie Artaud (porte-parole de Lutte ouvrière)

Bchira Ben nia (Marche des solidarités)

Mohamed Ben Said (Fédération des Tunisiens pour une citoyenneté des deux rives)

Olivier Besancenot (porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste)

Louis Boyard (député La France insoumise/Nupes du Val-de-Marne)

Luc Carvounas (maire d’Alfortville)

Mouhieddine Cherbib (Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie)

Mohamed Chikouche (conseiller départemental Parti socialiste du Val-de-Marne)

Laurence Cohen (sénatrice groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste du Val-de-Marne)

Annick Coupé (porte-parole d’Attac)

Cybèle David (secrétaire nationale de l’Union syndicale Solidaires)

Etienne Deschamps (secrétaire confédéral de la Confédération nationale du travail-Solidarité ouvrière)

Leslie Duger (secrétaire départementale de Sud poste 91)

Youssef El Alaoui Didi (Coordination des Sans-papiers 75)

Nacer El Idrissi (Association des travailleurs maghrébins de France)

Isabelle Enjalbert (présidente de La Cimade-Ile-de-France)

Jean-Baptiste Eyraud (porte-parole de Droit Au Logement)

Christian Favier (président honoraire du Conseil départemental du Val-de-Marne, ancien sénateur PCF)

Catherine Fayet (Union syndicale Solidaires 91)

Etienne Fillol (adjoint au maire d’Alfortville)

Dominique Gilardi (Sud poste 94)

Nicolas Girod (porte-parole de la Confédération paysanne)

Clémence Guetté (députée La France insoumise/Nupes du Val-de-Marne)

Rachel Kéké (députée La France insoumise/Nupes du Val-de-Marne)

Antoine Léaument (député La France insoumise/Nupes de l’Essonne)

Patrice Leclerc (maire de Gennevilliers)

Gwénola Le Taillandier (déléguée nationale en région Île-de-France de la Cimade)

Nathalie Levallois (Comité de soutien à la lutte des Chronopost)

Fernanda Marrucchelli (Fasti)

Jean-Louis Marziani (Union syndicale Solidaires 94)

Alexandre Masquestiau (conseiller départemental de l’Essonne

Soulé N’Gaide (adjoint au maire des Ulis)

Nadia Nguyen, (Réseau éducation sans frontières 91)

Mathilde Panot (députée La France insoumise/Nupes du Val-de-Marne, présidente du groupe La France insoumise/Nupes de l’Assemblée nationale)

Mathieu Pastor (Marche des solidarités

Adrien Pichard (secrétaire départemental de l’Union syndicale Solidaires 91)

Christine Poupin (porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste)

Philippe Poutou (porte-parole du Nouveau parti anticapitaliste)

Pascal Savoldelli (sénateur groupe Communiste, républicain, citoyen et écologiste du Val-de-marne)

Isabelle Santiago (députée Parti socialiste/Nupes du Val-de-Marne)

Christian Schweyer (Collectif des travailleurs sans-papiers de Vitry)

Oscar Segura (adjoint au maire de Corbeil-Essonne)

Anzoumane Sissoko (Coordination des Sans-papiers 75)

Giorgio Stassi (secrétaire départemental de Sud poste 91)

Sophie Taillé-Polian (députée écologiste/Nupes du Val-de-Marne)

Eddy Talbot (secrétaire fédéral de Sud PTT)

Benoît Teste (secrétaire général de la Fédération syndicale unitaire)

Tarek Toukabri (Association démocratique des Tunisiens en France)

Les militant·e·s de l’Union Communiste Libertaire