(UNIRS) Crimes sexuels en Ehpad négligés ou impunis

On pouvait imaginer qu’une fois intégrée dans un EHPAD, à 80 ou 90 ans passés, une femme pouvait se sentir définitivement protégée - et devrait raisonnablement l’être réellement - de tout prédateur sexuel, d’un conjoint ou compagnon violent à son égard, ou de la malveillance perverse d’un individu de passage, d’un proche ou d’un voisin ….

Il n’en est rien, au contraire : un reportage de Médiapart publié en décembre 2022 rappelle que Ministère des Solidarités reconnaît un nombre d’agressions est probablement très élevé. L’enquête a retrouvé la trace d’une centaine de victimes de ces crimes judiciarisés depuis 2013 - ce qui n’est très certainement qu’une toute petite partie des agressions subies.

Maltraitance institutionnelle

Avec ce que nous avons appris, l’an dernier, à la suite de la publication de l’ouvrage Les Fossoyeurs, de Victor Castanet, sur les mauvais traitements à l’encontre des résident.e.s des EHPAD du Groupe Orpéa, et sur l’inertie des pouvoirs publics qui n’organisent pas de contrôle systématique dans des établissements auxquels la collectivité verse pourtant d’importantes subventions pour assurer les soins et le bien-être des personnes qui y résident, on ne peut pas s’étonner que pour tout ce qui concerne la protection de la femme âgée contre les violences sexuelles (98% des victimes en EHPAD sont des femmes), la prévention ne soit pas une priorité.

Les témoignages des victimes - quand elles acceptent de parler - et de leurs proches, sont cauchemardesques.

Des victimes très vulnérables

Selon le criminologue Julien Chopin les victimes sont précisément choisies par leurs agresseurs parmi les résidentes dont la fragilité due à leur état de santé - qui les rend incapables de témoigner - présente un danger pour elles face à ces prédateurs à l’affut.

Fréquemment, ces femmes sont veuves, et leur famille, quand elles en ont une, vient rarement leur rendre visite. Ces femmes sont en quelque sorte « disponibles » pour une agression, et ce que cherche l’agresseur, c’est un corps à sa disposition, comme un objet. Nombre d’agressions se produisent pendant que les victimes sont endormies. Si des faits parviennent à être connus, malgré les précautions qu’ils prennent, c’est majoritairement parce qu’ils se font surprendre, en train de commettre leurs crimes.

La vulnérabilité des victimes les empêche de se défendre. Si les familles ne prennent pas toute la procédure en charge, il ne se passe rien. Les établissements ne s’en occupent pas : cela nuirait à leur image de reconnaître la réalité du problème, et le fait que les résidentes ne sont pas protégées alors que c’est le rôle de l’institution dans lesquelles elles résident.

Les coupables

Ce sont tous des hommes ; très souvent, ils exercent une autorité morale sur la victime, soulevant la question de l’abus de faiblesse. Ils sont majoritairement soit salariés dans les établissements où ils sévissent, soit résidents.

Le mâle prédateur n’oublie pas ses frustrations ni ne cesse ses méfaits avec l’âge ; sa recherche est la même que l’individu plus jeune : une proie à sa merci, parce que sérieusement handicapée, et discrète car elle a du mal à s’exprimer.

Les faux-fuyants des directions d’EHPAD

Même si les langues se délient parfois, les employé.e.s craignent régulièrement de parler de peur de perdre leur place - et c’est arrivé maintes fois que les contrats ne soient pas renouvelés à la suite de signalements.

Dans certains cas, les salarié.e.s, qui auraient souhaité faire appliquer les procédures, subissent même des pressions de leur direction pour ne rien dire à la famille.

Si les salarié.e.s des EHPAD détectent rarement les faits, c’est sans doute aussi qu’ils et elles n’ont pas le temps nécessaire pour faire des contrôles, discuter avec les résident.e.s et leurs familles régulièrement et écouter leurs plaintes ou leurs angoisses face à une situation qu’elles pressentent sans nécessairement pouvoir la verbaliser facilement.

Le Code pénal, dans son article 40 précise pourtant clairement : toute autorité constituée a l’obligation de signaler délits et crimes à la justice.

Très cyniquement, dans le but de ne pas charger inutilement les autorités judiciaires - avec des cas où les relations sexuelles pourraient être consenties - les directeurs et directrices d’établissement attendent d’être en possession de suffisamment de preuves pour faire le signalement. Or, ce n’est pas du tout ce qui est prévu : le signalement doit être immédiat, et ce n’est pas au directeur ou à la directrice d’établissement de faire l’enquête préalable.

Il est également inadmissible que la loi ne soit pas respectée sur la question de la récidive. Or, toute personne ayant été condamnée pour un crime ou un délit de viol ou d’agression sexuelle ne peut être recrutée dans des établissements médico-sociaux. Mais le suivi ne semble pas être fait systématiquement pour les vacataires très nombreux et nombreuses en Ehpad.

Des élu.e.s pudibond.e.s

Des député.e.s de la majorité ont déposé fin 2022 une proposition de loi sur le bien-vieillir, qui comprend un volet de lutte « contre les maltraitances ». Voilà bien la preuve de la pusillanimité des responsables politiques : pourquoi ne pas poser clairement le problème des crimes sexuels en EHPAD, puisque c’est de cela qu’il s’agit ?

Ce n’est pas une surprise lorsque l’on songe aux réactions de personnalités politiques aux violences conjugales ou sexuelles dont se sont rendus coupables certains de leurs collaborateurs : nous avons assisté à un déni total de la gravité des faits. Alors s’agissant de victimes « invisibles », on peut craindre qu’ils manquent encore davantage d’empressement pour prendre des mesures.

L’ampleur des alertes reçues, ne serait-ce que depuis 10 ans aurait dû alarmer les pouvoirs publics et déboucher sur des plans de prévention solides, bien compris et bien appliqués par ceux et celles qui ont autorité.

Le Ministère des Solidarités se retranche derrière le fait qu’il faudrait former les intervenant.e.s en EHPAD à détecter les signes, simplifier les procédures. Mais qu’attendent-ils et elles, puisqu’ils sont en charge de ces sujets ? Pourquoi existe-t-il des instructions précises pour évaluer les dangers lorsqu’il s’agit des enfants ou des adultes, et pas pour les sénior.e.s ? Les atteintes sont aussi très mal vécues par les victimes âgées, et laissent des séquelles psychologiques et physiques tout aussi graves !

Conclusion

Pourquoi cette désinvolture, ce désintérêt pour les difficultés de ces victimes très âgées ? Parce qu’elles vont bientôt mourir, et que bien vite on n’en parlera plus ? N’est-ce pas la manifestation d’une absence d’assistance à personne en danger systémique : les tabous sont tels, l’énormité de ces violences si choquante que l’on préfère détourner les yeux pour ne pas en connaître l’ampleur ni la gravité, et devoir percer un abcès qui éclabousserait tant de monde ?

Les procédures juridiques doivent s’adapter à ces violences spécifiques, afin de faciliter les signalements de la part des victimes ou des familles. Il faut obliger les directeurs et directrices d’EHPAD de faire les contrôles nécessaires, à former le personnel à détecter les risques, et protéger les salarié.e.s qui alertent, il faut imposer la mise à l’écart immédiate des agresseurs.